Alphavalue - Alphavalue - Nous prenons bien note qu’Eurotunnel aura dépassé son point mort en 2012 pour la première fois en 30 ans d’histoire. C’est une bonne nouvelle mais pas suffisante pour les actionnaires actuels (sans parler de ceux qui, les premiers, ont pris des risques au siècle dernier). Son EBITDA 2012 à environ 450m€ devrait laisser un résultat avant impôt de 35m€. Pas assez pour justifier une capitalisation boursière de 3,3Mds€. L’objectif est désormais de s’assurer que son ROCE viendra un jour couvrir son (faible) CMPC (7,41%).

Sur le papier, Eurotunnel restera un délice pour les experts en valorisation : des immobilisations corporelles colossales (6,6Mds€) avec des besoins ridicules en termes de dépenses d’investissement (moins de 80m€ par an contre des amortissements d’environ 160m€), presque aucun coût variable (seulement l’électricité) de sorte que les gains en termes de volumes impactent directement le résultat, une dette impressionnante avec des maturités sans fin de sorte que la gestion/ingénierie du passif a généré toutes sortes d’idées et toutes sortes de commissions pour la communauté des banques. Le problème est que la restructuration de la dette en 2006 ne permet pas de tirer parti de la baisse des coûts de marché de financements.

Le chiffre d’affaires d’Eurotunnel pour 2012, en hausse de 14% avec des revenus issus des navettes en hausse de 16%, est satisfaisant même si les progrès ont été en partie soutenus par les Jeux Olympiques organisés en Grande-Bretagne. En fait même au T4 2012 (après les Jeux Olympiques), les navettes de fret d’Eurotunnel ont continué à gagner des parts de marché (le nombre de camions transportés a affiché une hausse de 16%), aidées par la liquidation de Sea France et son démantèlement entre Myferrylink (l’opérateur) et Eurotransmanche (le propriétaire des 3 bateaux), une filiale d’Eurotunnel qui tire les bénéfices d’une moindre concurrence désormais contrôlée de la part des ferries transmanche. De sorte que les briques d'un renouveau sont en place.

Mais comment son ROCE actuellement à 3% pourrait passer à, disons, 8% ? Évidemment la base d’actifs ne peut pas être contractée beaucoup plus, ce qui laisse les résultats comme point de travail et les services pour accroître les ventes et le résultat sans mobiliser davantage de capitaux. Eurotunnel a pour objectif de combiner des services de fret à travers l’Europe dans un réseau global, d’augmenter ses propres capacités de fret par le rail en se reposant sur des contrats de location-exploitation, de s‘étendre dans la gestion de ports (Europorte) et d’encourager une nouvelle compagnie ferroviaire à lancer de nouvelles routes de Londres vers le continent. Pour mémoire, les capacités du tunnel actuel sont utilisées à environ 50%, laissant un énorme potentiel.

De tels projets ne se font évidemment pas sans une résistance de la part des acteurs actuels, et surtout de la part des opérateurs des réseaux ferrés britanniques et français. Eurotunnel a besoin de temps. De nouveaux revenus issus des services sont pour l’instant difficiles à détecter dans le chiffre d’affaires total. De la même manière, le groupe a besoin de plus de personnels ce qui pèsera évidemment sur les marges. Pour en avoir une idée, il faudrait doubler le NOPAT 2014 d’Eurotunnel pour atteindre 450m€ et ainsi envisager un ROCE tout juste proche de 7%.

Une partie des problèmes de rendement actuels vient du fait que la déductibilité des intérêts a été rabotée par la dernière loi fiscale française, ce qui réduit les perspectives de résultats et diminue la valeur des importants déficits fiscaux reportables (après sa réduction l’an dernier à une utilisation à 60% par année), et de toute façon à peine pris en compte dans notre Somme des Parties puisque les perspectives de résultats étaient modestes.

Le fort momentum de cours actuel est probablement le résultat d’un optimisme exagéré sur le calendrier d’une telle réalisation d’une croissance basée sur les services avec des dépenses d’investissement limitées. La valorisation reste plutôt tendue quand on la compare avec des pairs du secteur européen des infrastructures (autoroutes, aéroports). Sur cette base, le cours d’Eurotunnel devrait perdre environ 50%. L’autre côté de la pièce est la promesse d’une croissance régulière des cash flows, laquelle qui indiquerait un potentiel de hausse de 68% sur la base du DCF. Eurotunnel est gérée de manière saine, libre de croître mais reste un casse-tête en termes de valorisation.