(Actualisé § 2 à 5 avec précisions Madrid et Lisbonne)

par Feliciano Tisera et Daniel Alvarenga

MADRID/LISBONNE, 14 novembre (Reuters) - Grève générale coordonnée en Espagne et au Portugal, manifestations et arrêts de travail en Grèce, en Italie, en France : l'opposition aux politiques d'austérité a pris la forme mercredi d'une "journée européenne d'action et de solidarité" qui a pris parfois un tour violent dans le sud du continent.

En Espagne, au Portugal et en Italie, des affrontements ont opposé des manifestants aux forces de l'ordre. Dans les aéroports, des centaines de vols ont été annulés, le trafic ferroviaire fonctionnait au ralenti, usines automobiles et activités portuaires étaient paralysées.

A Lisbonne où les défilés se sont terminés sur un niveau de violence inégalé depuis le début de la crise, les policiers ont chargé des manifestants qui lançaient des pierres et des bouteilles. On a relevé une cinquantaine de blessés.

A Madrid, les manifestants ont mis le feu à des poubelles, enfumant l'artère principale tandis qu'à Barcelone, des protestataires ont incendie des véhicules de police.

Dans ces deux villes, où plus de 140 personnes ont été interpellées, les forces de l'ordre en tenue antiémeute ont tiré des balles en caoutchouc pour disperser les manifestants. Le nombre de blessés est évalué à plus de 70.

En Espagne, où la consommation d'énergie a chuté de 16% en raison de l'interruption de la production dans plusieurs entreprises, deux des 140 personnes arrêtées sont soupçonnées de posséder des matériaux pour fabriquer des explosifs, à la suite de heurts devant des piquets de grève et de dommages causés à des devantures de magasins.

Dans plusieurs villes du pays, des manifestants ont rendu inutilisables avec de la colle et des pièces de monnaie des distributeurs automatiques de billets.

De grandes manifestations ont eu lieu dans la soirée à Madrid, Barcelone et dans d'autres villes du royaume.

D'après les syndicats espagnols, plus de 9 millions de travailleurs ont pris part à la grève générale de mercredi, la seconde de l' année.

Dans l'ensemble du pays, quelque 600 vols, principalement sur les compagnies Iberia et Vueling, ont été annulés et seuls 20% des trains inter-cités et un tiers des trains de banlieue devraient circuler. Des écoles ont également été fermées.

HEURTS À ROME ET AU PORTUGAL

En Italie, la CGIL, premier syndicat du pays, a appelé à des arrêts de travail de plusieurs heures.

Dans le centre de Rome, des étudiants d'extrême droite du Blocco Studentesco qui voulaient atteindre le palais Chigi, où se trouvent les bureaux du président du Conseil, Mario Monti, ont lancé des pierres en direction des policiers, qui ont chargé pour les repousser.

Près du Colisée, d'autres étudiants portant des casques de moto ont manifesté en brandissant des banderoles où on lisait "Vous avez assez profité de nous" et "Ce n'est pas notre dette". Les transports publics étaient à l'arrêt.

Des échauffourées ont éclaté à Rome entre les policiers en tenue antiémeutes et des manifestants leur jetant pierres, bouteilles et feux d'artifice. Environ 60 manifestants ont été arrêtés.

Des dizaines de milliers de personnes ont également défilé à Naples, Milan, Pise et Turin.

Des manifestants ont occupé la tour médiévale de Pise durant une heure, y accrochant une bannière sur laquelle on pouvait lire : "Révoltez-vous. Nous ne payons pas pour votre crise."

A Lisbonne, la police a chargé des centaines de manifestants réunis devant le Parlement, la télévision portugaise montrant des images en direct de personnes battues par les forces de l'ordre. Au moins deux personnes ont été vues en train d'être arrêtées par la police, qui a indiqué qu'elle avait donné l'assaut en réponse à un déluge de pierres jetées par les manifestants.

Au Portugal, les trains fonctionnaient très difficilement - le trafic devait être réduit à 10% dans le cadre d'un service minimum ordonné par les tribunaux -, le métro est fermé et la compagnie TAP a annulé environ 45% de ses vols. Certaines écoles, comme en Espagne, ont aussi été fermées.

Un grand rassemblement s'est tenu dans la soirée à Lisbonne.

"A semer l'austérité, on récolte la récession, l'augmentation de la pauvreté et l'angoisse sociale", a déclaré Bernadette Ségol, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES) qui coordonne la mobilisation.

"Dans certains pays, l'exaspération atteint son comble. Des solutions urgentes doivent être prises pour relancer l'économie et non l'asphyxier par l'austérité", a-t-elle ajouté.

Les organisateurs de ce mouvement européen appellent à manifester contre des politiques d'austérité qui, disent-ils, prolongent et accentuent la crise économique et sociale née de la crise de la dette souveraine.

"Nous vivons un moment historique du mouvement de construction de l'Union européenne", juge Fernando Toxo, qui dirige les Commissions ouvrières (CCOO), la principale centrale syndicale espagnole.

En Espagne, où le chômage touche un quart de la population active, le rejet de la rigueur mise en oeuvre par le gouvernement de Mariano Rajoy a franchi un degré supplémentaire après l'émoi provoqué par le suicide d'une femme de 53 ans qui ne pouvait plus rembourser son emprunt immobilier.

130 MANIFESTATIONS PRÉVUES EN FRANCE

Depuis l'explosion de la bulle immobilière en 2008, près de 400.000 logements ont fait l'objet de saisies à la demande des banques espagnoles, qui ont bénéficié d'un plan de soutien financé par de l'argent public.

Au Portugal, qui a négocié l'an dernier un plan de sauvetage de 78 milliards d'euros, la population n'a pas manifesté la même colère qu'en Espagne mais l'opposition à l'austérité va croissante.

"La première grève ibérique de l'histoire sera un grand signal de mécontentement mais aussi un avertissement aux autorités européennes", a prévenu Armenio Carlos, qui dirige le syndicat CGTP.

"Cette austérité est une histoire sans fin. On ne voit aucune lumière au bout du tunnel, mais plus de souffrances et plus de difficultés", témoigne José Marques, un retraité lisboète qui descendra dans la rue.

En Grèce, les syndicats du public et du privé ont demandé trois heures d'arrêt de travail par solidarité avec le mouvement en Espagne et au Portugal. Plusieurs centaines de grévistes se sont rassemblés dans le calme dans le centre d'Athènes, déployant de grands drapeaux italiens, portugais et espagnols et des banderoles proclamant "Ça suffit !"

En France, plus de 130 manifestations étaient annoncées mais les rangs des manifestants étaient souvent clairsemés. Il s'agissait de la première mobilisation commune CGT-CFDT, avec le renfort de l'Unsa, de Solidaires et de la FSU, depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir.

Plusieurs milliers de personnes ont défilé en début d'après-midi à Paris des abords de Montparnasse vers le siège du Medef, le syndicat patronal, dans le VIIe arrondissement, avec pour slogan "Non à l'austérité, oui à l'Europe sociale". (voir )

Des manifestations étaient prévues dans certains pays de l'Est et des actions symboliques attendues en Allemagne, en Autriche et aux Pays-Bas, notamment, précise la CES.

Une action spécifique devait avoir lieu à Bruxelles avec un tour des ambassades par les responsables des syndicats et un rassemblement devant le siège de la Commission européenne. (avec Miguel Pereira et Andrei Khalip à Lisbonne, Blanca Rodriguez, Carlos Ruano et Borja Gonzalez à Madrid, Braden Phillips à Barcelone, Ben Deighton à Bruxelles, Naomi O'Leary, Philip Pullella et Steven Scherer à Rome, Renee Maltezou et Karolina Tagaris à Athènes, Gérard Bon à Paris, Henri-Pierre André, Agathe Machecourt, Guy Kerivel et Juliette Rabat pour le service français)