Cette décision inattendue confirme la volonté de Doha de renforcer son indépendance économique dans l'hypothèse où sa querelle avec l'Arabie saoudite et ses alliés se prolongerait.

L'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte ont rompu le 5 juin leurs relations diplomatiques puis fermé toutes frontières aériennes, maritimes et terrestres avec le Qatar, qu'ils accusent de liens avec le terrorisme et de rapprochement avec l'Iran, des allégations que Doha rejette.

Les quatre pays arabes ont présenté au Qatar, via le Koweït qui joue les médiateurs, une liste d'exigences pour lever leurs sanctions.

On ignore la réponse du Qatar, dont le ministre des Affaires étrangères a seulement précisé mardi à Doha qu'elle s'inscrivait dans le respect de la souveraineté de l'émirat, témoignait de sa bonne foi et constituait une bonne initiative.

A ses côtés, le ministre allemand des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, a salué la "retenue" manifestée par le Qatar depuis le début du blocus. "Nous espérons que les autres répondront dans un esprit similaire", a-t-il dit.

Les chefs de la diplomatie de Ryad et ses alliés doivent se réunir mercredi au Caire pour discuter du dossier.

Ils pourraient débattre des conditions d'une issue à la crise ou imposer de nouvelles sanctions, en demandant par exemple à leurs partenaires commerciaux de choisir leur camp.

UN MARCHÉ SATURÉ

C'est dans ce contexte que le géant des hydrocarbures Qatar Petroleum (QP) a dévoilé son projet d'accroître la production de gaz du vaste gisement de North Field, que le Qatar partage avec l'Iran.

Le projet vise à faire passer la production nationale de GNL de 77 millions de tonnes à 100 millions de tonnes par an, a dit le patron de QP, Saad al Kaabi, lors d'une conférence de presse.

Le Qatar est revenu en avril sur l'interdiction qu'il s'était imposé d'étendre l'exploitation de North Field, le plus important gisement de gaz naturel au monde, et il a annoncé son intention d'accroître la production de sa partie sud dans un délai de cinq à sept ans.

"Nous avons décidé que le meilleur choix serait de doubler l'ampleur du projet (...). Ce projet va renforcer notre position en tant que premier producteur et premier exportateur de GNL".

"Nous allons rechercher des partenaires internationaux pouvant s'associer à nous", a déclaré Saad al Kaabi.

Une première conséquence de cette décision sera d'accentuer la saturation du marché du GNL sur lequel rivalisent déjà l'Australie, les Etats-Unis et la Russie.

Avec des coûts de production bas et des installations plus proches des acheteurs en Asie et en Europe, le Qatar pourrait notamment créer des difficultés aux producteurs américains.

La majorité du GNL est aujourd'hui fournie via des contrats à long terme entre producteurs et utilisateurs qui offrent peu de souplesse et interdisent, dans la plupart des cas, aux importateurs de revendre leurs cargaisons.

Mais avec une offre bien supérieure à la demande, les analystes s'attendent également à une libération progressive du marché.

Selon Saad al Kaabi, les activités de Qatar Petroleum ne seront pas affectées par la crise diplomatique actuelle.

"Qatar Petroleum continuera de travailler", a-t-il dit. "Si certaines sociétés décident de ne pas travailler avec QP, c'est leur choix. Nous trouverons d'autres sociétés étrangères avec lesquelles travailler", a-t-il averti.

L'Iran appelle ce vaste gisement gazier South Pars. Lundi, Téhéran a signé avec Total un accord en vue d'en accroître la production. ([nL8N1JU2Q3])

Pour les experts, la décision de Doha est liée à celle de Téhéran. "Cela veut dire qu'ils peuvent augmenter la production de (North Field) sans déstabiliser la géologie du gisement", explique Oliver Sanderson, analyste à Thomson Reuters.

Cela pourrait même rapprocher les deux pays et inciter Doha à coopérer avec Téhéran.

Saad al Kaabi a indiqué mardi qu'il n'y avait pas de coopération avec l'Iran sur quelque projet que ce soit dans ce gisement, mais que les deux pays disposaient d'une commission conjointe qui se réunit chaque année pour évoquer la mise en valeur de North Field (South Pars).

"Nous savons ce que font les Iraniens et ils savent ce que nous faisons", a-t-il dit.

(Tom Finn, Issam Abdallah et Rania el Gamal, Eric Faye et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)