Le président François Hollande exhorte patronat et syndicats au niveau national à s'entendre sur une plus grande sécurisation de l'emploi en échange d'une souplesse accrue du marché du travail, faute de quoi le gouvernement imposera sa propre réforme. Un round de négociations décisif aura lieu jeudi et vendredi.

"L'industrie automobile, confrontée à une crise rare par sa violence, se trouve tout à coup contrainte de reposer la manière dont elle gère globalement sa flexibilité", observe l'historien Charles de Froment, de l'Institut de l'entreprise, auteur d'un rapport sur ce sujet qui fait débat en France depuis une dizaine d'années mais que d'autres pays européens ont commencé à expérimenter dans les années 1990.

"Or c'est vraiment l'un des enjeux principaux de la réforme actuelle. Ce que tente de faire l'industrie automobile, c'est une meilleure répartition du risque ou des besoins de flexibilité sur les différentes catégories de salariés", ajoute-t-il.

"SOCIALEMENT INNOVANT"

L'objectif de la réforme du marché du travail est d'améliorer la compétitivité de l'économie et de réduire le fossé qui se creuse entre les salariés en contrats indéterminés (CDI) et ceux en contrats temporaires (CDD, intérim ou sous-traitants), qui sont devenus une variable d'ajustement des entreprises face aux aléas de leur activité.

Lors de la crise de 2008-2009, l'industrie automobile a d'abord réduit le nombre de ses intérimaires pour s'adapter à l'effondrement des ventes. Face à la rechute de la demande après l'été 2011, PSA a ensuite annoncé un premier plan social portant sur 6.000 suppressions de postes en Europe, dont 2.500 chez les sous-traitants.

"Là, tous s'aperçoivent que ce n'est même pas suffisant, et qu'ils sont sans doute au bout du système. Ils tentent maintenant de transférer aux autres salariés une partie de l'effort à fournir en cas de variation subite du carnet de commandes", poursuit Charles de Froment.

"Ces accords prennent socialement une direction innovante, qui ne se pose pas seulement à l'échelle de l'industrie automobile mais à laquelle il faut réfléchir de manière plus globale."

LA MOBILITÉ, UN POINT DUR DANS L'AUTO

Les discussions entre les deux constructeurs automobiles français et leurs syndicats, qui durent déjà depuis plusieurs mois, reprennent ce mercredi après la trêve des fêtes de fin d'année.

Bien que les négociations s'annoncent rudes, Renault, qui emploie environ 54.000 personnes en France, espère parvenir ce mois-ci à un accord qui porterait notamment sur un nouveau dispositif de détachement temporaire des salariés entre ses différentes usines afin de mieux équilibrer les effectifs en fonction des niveaux d'activité.

Ce système, qui ne serait plus basé sur le volontariat contrairement au dispositif actuel, doit permettre d'éviter le recours au chômage partiel sur les sites souffrant d'une baisse des cadences.

"Renault veut aller très loin, et on risque de se retrouver promené d'un site à l'autre sans toucher les indemnités que prévoit actuellement la loi, d'où la levée de boucliers des syndicats", estime Yves Audvard, représentant CGT chez Renault.

Philippe Very, professeur de stratégie à l'Edhec, note cependant que "le fait que Renault ait obtenu par exemple plus de 25% de baisse des salaires (pour les nouveaux entrants, NDLR) dans ses usines en Espagne place le rapport de force en défaveur des salariés français".

"Si des accords sont trouvés en France dans l'automobile, cela pourra servir d'exemple aux autres secteurs où, tôt ou tard, il faudra bien trouver les moyens de flexibiliser la production", ajoute-t-il.

RÉDUCTION DES "DÉLAIS DE PRÉVENANCE"

Chez PSA, qui compte environ 80.000 salariés en France, direction et syndicats vont entrer dans le vif du sujet des discussions sur le nouveau plan social présenté en juillet par le groupe pour réduire ses coûts et ses surcapacités.

Dans l'accord de compétitivité qu'il a signé l'été dernier dans son usine de Sevelnord (Nord), PSA a redéfini lui aussi les règles de mobilité sur le site et dans la région pour faire face aux éventuels trous d'air de la demande.

Des détachements sont également envisagés à l'usine de Rennes (Ille-et-Vilaine) pour une partie des salariés en attendant un rebond de la production avec l'arrivée d'un nouveau modèle de voiture en 2016.

A Sevelnord, PSA a en outre obtenu la réduction du "délai de prévenance" pour installer ou supprimer une équipe de production afin d'améliorer sa réactivité face à un marché volatil. Ce délai est passé de deux mois à un mois pour monter une équipe, et de deux mois à trois semaines pour en démonter une.

Chez Renault, ces délais, qui sont actuellement de deux semaines, sont jugés compatibles avec les critères de compétitivité que s'est fixés le groupe.

ÉVITER UN NOUVEL AULNAY

Les constructeurs automobiles français s'inspirent en partie des accords conclus chez Volkswagen, qui font référence dans le secteur.

Au cours des deux dernières décennies, le géant allemand a signé de nombreux accords sur le temps de travail, l'organisation et les salaires, qui lui ont permis de traverser les périodes de crise et de tirer aujourd'hui son épingle du jeu dans un paysage automobile européen sinistré.

Patrick Pierron, représentant CFDT aux négociations nationales sur la réforme du marché du travail, cite lui aussi Volkswagen, mais pour souligner que la flexibilité appelle des contreparties pour les salariés.

"Je pense à la clause de retour à meilleure fortune, qui prévoit un retour pour les salariés en cas d'amélioration de l'activité", dit-il.

"Et puis il y a le volet anticipation des négociations. Celui-ci vise avant tout à éviter que l'économie française ne connaisse un nouvel Aulnay", ajoute-t-il, en référence à la fin programmée du site PSA de Seine-Saint-Denis, première fermeture d'une usine automobile française depuis vingt ans.

Edité par Dominique Rodriguez

par Gilles Guillaume