par Yann Le Guernigou

Le président français a promptement réagi aux informations de presse prêtant au constructeur automobile l'intention de le faire construire ce modèle dans son usine turque de Bursa en convoquant son P-DG Carlos Ghosn samedi.

Même si Renault, dont l'Etat français détient encore 15% du capital, a assuré qu'il n'avait pas tranché, le gouvernement s'estime en droit d'exiger le contraire au vu des efforts consentis pour soutenir le secteur automobile depuis un an.

"On se heurte à la divergence des intérêts entre l'Etat français, qui veut maximiser l'activité et donc l'emploi en France, et les intérêts des entreprises qui doivent maximiser leur profitabilité et rentabiliser leur outil productif", estime Alexander Law, chef économiste de l'institut d'études économiques Xerfi.

"A mon avis, ça va rester à l'état verbal car comment l'Etat peut-il empêcher Renault d'optimiser son outil de production ? Est-ce que Renault doit à l'Etat de maintenir toute sa production en France, quitte à dégrader fortement sa productivité ?", ajoute-t-il.

Le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, a donné le ton en déclarant mercredi que le "pacte automobile" signé en février 2009 à l'Elysée, qui incluait notamment 6,5 milliards d'euros de prêts publics au secteur, "a sans doute permis de sauver l'industrie automobile française".

"Le gouvernement ne comprendrait pas une mesure qui consisterait à délocaliser la production d'un véhicule aussi emblématique pour les Français que la Clio", a-t-il souligné.

"Il est tout à fait normal que le représentant d'un des principaux actionnaires de Renault rencontre son président pour lui faire part de ses orientations, de ses choix et de son point de vue sur la question", a-t-il ajouté à propos de la rencontre entre Nicolas Sarkozy et Carlos Ghosn.

PAS DE RETOUR EN ARRIÈRE

Dès sa campagne présidentielle, fin 2006, Nicolas Sarkozy avait annoncé son intention de lutter contre la désindustrialisation de la France, qu'il qualifiait de "gâchis".

L'automobile, une des premières victimes de la crise à l'automne 2008, lui a donné l'occasion de passer aux actes, le chef de l'Etat déclarant qu'il ne laisserait jamais tomber un secteur qui pèse 10% de l'emploi et 15% de la recherche & développement industriels en France.

Les prêts se sont accompagnés d'autres mesures comme l'allongement et une meilleure rémunération du chômage partiel, une aide aux sous-traitants et surtout les primes à la casse, qui ont dopé les ventes de véhicules en 2009.

S'y est ajoutée la suppression de la taxe professionnelle sur les investissements, une mesure favorable à l'ensemble de l'industrie mais réclamée de façon plus pressante par les constructeurs lors des états généraux de l'automobile de 2008.

"Pour chaque Clio fabriquée à Flins nous payons une taxe professionnelle de 182 euros. Si la voiture était produite en Espagne, la taxe serait de 10 euros, et il n'y aurait pas de taxe si elle était conçue en Turquie", déclarait alors Carlos Ghosn.

Ces aides publiques ont été assorties de contreparties en matière d'emploi et de pérennité des usines françaises, le président de la République souhaitant "qu'on arrête les délocalisations et que si possible on relocalise" dans l'industrie automobile.

"Nous ne mettons pas tant d'argent pour soutenir nos constructeurs automobiles pour que la totalité des usines automobiles s'en aille ailleurs", a-t-il dit mercredi lors de ses voeux aux parlementaires.

Alexander Law estime que, malgré ces déclarations, "on ne peut pas revenir en arrière sur une évolution historique de la production automobile" vers les pays à faible coût de main d'oeuvre pour les petits modèles.

"Il y aura une réunion où Nicolas Sarkozy va expliquer à Ghosn qu'il serait de bon ton que Renault s'engage à garder le maximum d'emplois en France. Ghosn va dire 'oui' mais on va quand même produire la Clio en Turquie s'il s'engage à un niveau de production satisfaisant en France", prédit l'économiste.

Nicolas Sarkozy a d'ailleurs expliqué qu'il n'entendait pas empêcher le constructeur de se déployer dans le monde.

"Tout est une question d'équilibre. Il serait absurde d'empêcher un constructeur mondial d'aller créer des usines à l'extérieur, ça va de soi", a-t-il ajouté mercredi.

Pour Alexander Law, "la question de la Clio en soi est un faux débat".

"Ce qu'il faut c'est que l'usine de Flins reste ouverte. Renault s'est déjà engagé à garder ouvertes toutes ses usines en France. C'est déjà une marque de bonne volonté", souligne-t-il.

Avec la contribution d'Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse