par Julien Ponthus et Julien Toyer

Alors que la crise a mis en évidence le gouffre idéologique entre les ambitions industrielles du pays du colbertisme et le dogme bruxellois de la "concurrence libre et non faussée", la réforme des aides d'Etat et les politiques de sortie de crise sont autant de sujets susceptibles d'aviver les tensions.

La nouvelle commission Barroso doit être investie mardi par le Parlement européen.

"Comment réguler le retour à la normale? Cela va vraiment être compliqué", juge Hugues Calvet, un associé du cabinet Bredin Prat, à Paris.

La commissaire sortante Neelie Kroes a exaspéré Paris en janvier lorsqu'elle a critiqué les pressions exercées sur Renault pour empêcher que la production de la Clio 4 ne soit localisée exclusivement en Turquie.

Pour la commissaire néerlandaise, ces pressions sont en contradiction avec l'engagement du gouvernement de ne pas lier son soutien financier aux lieux de production des voitures.

Neelie Kroes a aussi échaudé les esprits avec l'ouverture d'une enquête sur l'intervention du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA) dans le groupe Trèves.

Si à l'issue de cette enquête, l'investissement effectué par le FMEA est considéré comme une aide d'Etat, toute la politique engagée par le Fonds stratégique d'investissement (FSI), doté de 20 milliards d'argent public, pourrait être remise en cause.

Reflet de la tension entre Paris et Bruxelles sur le dossier automobile, Neelie Kroes a déclaré dans une interview publiée lundi dans le journal allemand Handelsblatt qu'elle estimait avoir deux fois plus de neurones que Nicolas Sarkozy.

La gardienne des règles européennes de concurrence répondait ainsi aux propos prêtés par Le Canard enchaîné au chef de l'Etat français, qui ne lui attribuait "pas deux neurones".

La décision de l'Etat de choisir un consortium français formé d'Alstom et de Schneider pour la filiale T&D d'Areva au détriment de prétendants étrangers a aussi fait grincer des dents.

L'examen du dossier par la Commission européenne pourrait d'ailleurs donner lieu à des négociations serrées.

POLITIQUE INDUSTRIELLE

A la faveur du renouvellement du collège des commissaires et du débat sur la définition de la stratégie économique européenne "EU 2020", la France continue d'insister pour que la politique de concurrence intègre une réflexion plus large sur la politique industrielle européenne.

"L'Union européenne doit poursuivre sa démarche de révision des règles relatives aux aides d'Etat en veillant à concentrer le contrôle sur les aides les plus dommageables pour l'économie et la compétitivité européenne", estiment ainsi les autorités françaises dans une contribution à ce débat, dont Reuters a obtenu une copie.

Mais si Paris a choisi d'éviter le bras de fer en cherchant à ajouter au volet répressif de la politique de concurrence un volet "positif" lié à la compétitivité, il a peu d'espoir d'être entendu par Joaquin Almunia, qui a prévenu qu'il inscrirait son action dans la continuité de celle de Neelie Kroes.

"J'utiliserai les instruments de la concurrence pour aider les Etats membres à restructurer leurs entreprises dans le secteur financier et dans l'économie réelle. (...) Mais je n'hésiterai pas à agir pour empêcher une course aux subventions ou des distorsions de concurrence dommageables", a-t-il écrit aux parlementaires européens.

Olivier d'Ormesson, avocat du cabinet Linklaters, considère qu'il y a "peu de chances que le nouveau commissaire (Joaquin) Almunia soit moins hostile à une politique industrielle que son prédécesseur".

Jacques Philippe Gunther, associé du Cabinet Wilkie Farr & Gallagher, à Paris et Bruxelles, souligne qu'il ne l'a "jamais entendu prendre ses distances à l'égard des décisions adoptées".

"Je ne parie donc pas sur un changement", dit-il, même s'il note à l'instar de nombreux collègues que la nomination du français Guillaume Loriot au poste de directeur adjoint du cabinet de Joaquin Almunia pourrait apporter un peu de "pragmatisme".

Edité par Dominique Rodriguez