Paris (awp) - Le cimentier français Lafarge, filiale du géant des matériaux de construction Holcim, a vu la Cour de cassation française annuler mardi sa mise en examen pour mise en danger de ses salariés syriens. En revanche, l'instance a validé sa mise en examen pour complicité de crime contre l'humanité.

"La loi française n'étant pas applicable, la Cour de cassation annule la mise en examen de la société", selon le communiqué de la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire hexagonal transmis à l'agence AWP. "La société demeure par ailleurs mise en examen des chefs de complicité de crime contre l'humanité et financement d'entreprise terroriste", ajoute la Cour de cassation. Les procédures judiciaires dans ces dossiers courent toujours.

Dans un communiqué commun, le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR) basé à Berlin et l'ONG française Sherpa soulignent que pour "la seconde fois, la Cour de cassation confirme que Lafarge peut être poursuivi en France pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie", ajoutant que "Lafarge est la première entreprise au monde, dans son entité juridique, à faire l'objet d'une telle accusation".

La Cour de cassation devait trancher sur les mises en examen de Lafarge pour complicité de crimes contre l'humanité et mise en danger de la vie d'autrui de ses salariés en Syrie, qui avaient été confirmées par la cour d'appel de Paris en 2022 et que l'entreprise conteste.

Le groupe est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes jihadistes, dont l'organisation Etat islamique (EI), et à des intermédiaires, afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, alors même que le pays s'enfonçait dans la guerre.

La loi syrienne applicable

Le texte de la décision de mardi rappelle qu'"entre 2012 et 2015, le territoire sur lequel se trouve la cimenterie a fait l'objet de combats et d'occupations par différents groupes armés, dont l'organisation dite Etat islamique (EI)" et que "pendant cette période, les salariés syriens de la société ont poursuivi leur travail, permettant le fonctionnement de l'usine, tandis que l'encadrement de nationalité étrangère a été évacué en Egypte dès 2012, d'où il continuait d'organiser l'activité de la cimenterie".

Ils ont alors "ont été exposés à différents risques, notamment d'extorsion et d'enlèvement par des groupes armés, dont l'EI". La cimenterie a finalement été évacuée en urgence en 2014, peu avant que l'EI ne s'en empare.

Le Cour de cassation a toutefois estimé que "le délit de mise en danger de la vie d'autrui n'est constitué qu'en cas de violation d'une obligation imposée par une loi ou un règlement français", or "la loi syrienne était applicable à la relation de travail entre la société française et les salariés syriens, puisque ceux-ci travaillaient en Syrie".

Cette annulation de la mise en examen a pour effet d'attribuer automatiquement à la société hexagonale le statut de "témoin assisté". "En l'état, elle ne pourrait être renvoyée devant un tribunal pour ces faits", précise la Cour.

L'ECCHR ainsi que Sherpa regrettent "que plus de sept ans se soient écoulés entre cet arrêt et notre plainte. La lenteur du processus judiciaire soulève des questions sur l'efficacité de la justice à ce stade de la procédure, qui est actuellement une enquête et pas encore un procès".

Contacté par AWP, un porte-parole de l'entreprise française se contente d'expliquer qu'"il s'agit d'une question héritée du passé, que Lafarge S.A. est en train de régler dans le cadre de la procédure judiciaire en France."

L'action Holcim a bouclé en recul de 0,5% à 64,38 francs suisses, dans un SMI en gain de 0,2%.

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