* Un dirigeant à poigne

* Un professionnel reconnu surnommé "Georges le nettoyeur"

* Une grande expérience des pressions d'actionnaires

par Pascale Denis

PARIS, 30 janvier (Reuters) - Georges Plassat, jusqu'ici inconnu du public, s'apprête à passer dans la lumière en relevant un défi courageux : redresser le navire Carrefour à la dérive.

Avant de dire oui, cet homme discret a été longtemps courtisé par les actionnaires du premier employeur privé de France pour ses qualités reconnues de très bon connaisseur de la distribution et de redresseur d'entreprise en difficulté.

Ses atouts sont incontestables et les investisseurs ne s'y sont pas trompés, saluant la semaine dernière son arrivée annoncée par une forte hausse du titre en Bourse.

A 62 ans, une volonté de fer et le verbe sans détour, Georges Plassat s'apprête à relever le dernier grand défi de sa carrière à la tête du deuxième distributeur mondial, dont les ventes, les résultats et le cours de Bourse sont en chute libre.

"Carrefour coule et la tâche qui l'attend est certainement la plus compliquée du secteur de la grande distribution", commente Nathalie Berg, de l'institut Planet Retail.

Bourreau de travail, exigeant et dur avec ses équipes, Georges Plassat a aussi un caractère bien trempé et connaît bien les conflits avec les actionnaires, une expérience qui pourrait se révéler utile chez Carrefour, dit-on en interne.

Diplômé de l'école hôtelière de Lausanne et passé par l'université de Cornell, aux Etats-Unis, Georges Plassat a fait ses armes chez Casino, où il a passé 14 ans.

Après des débuts dans le marketing des cafétérias du groupe, il gravit les échelons et prend la direction générale du distributeur stéphanois, dans un face-à-face tendu avec son actionnaire principal Jean-Charles Naouri.

Remercié en 1997 pour avoir exposé des vues stratégiques opposées à celles de ce dernier, il est engagé par le PDG de Carrefour, Daniel Bernard, pour diriger les opérations espagnoles du groupe. Deux ans plus tard, après l'OPA de Carrefour sur Promodès, il n'obtient pas la direction du nouvel ensemble en Espagne et quitte le groupe.

COUP DE MAITRE

Son coup de maître, c'est le groupe André, le spécialiste de la distribution de chaussures (André, Minelli) et de vêtements (La Halle aux vêtements, Kookaï, Caroll, Naf-Naf), qui sera rapidement rebaptisé Vivarte. Une pépite endormie dont il perçoit tout le potentiel et dont il prend la direction en 2000.

"C'est un distributeur accompli, qui a aussi montré qu'il avait du flair en ciblant le groupe André comme une très bonne affaire potentielle et en en faisant un grand groupe", souligne un haut dirigeant d'une banque française.

Il entame tambour battant la restructuration du groupe, refond la quasi-totalité du management, réduit drastiquement les coûts. Les bénéfices sont au rendez-vous dès la première année.

Débarqué en 2002 pour cause de conflit avec son actionnaire, (le fonds NR Atticus) sur la politique de distribution du dividende, il revient deux ans plus tard, associé dans un LBO au fonds PAI Partners qui rachète l'entreprise en 2004.

Entre 2004 et 2007, il porte à 10% sa participation au capital de Vivarte et réalise une colossale plus-value lorsque, en pleine bulle financière, Vivarte est revendu à Charterhouse.

Surnommé "Georges le nettoyeur" dans un tract syndical, il n'a pas la réputation d'être un tendre.

"Il peut avoir des mots très durs avec ses troupes quand les résultats ne sont pas au rendez-vous", commente Michel Peyraga, secrétaire général CFTC de Vivarte.

Sans états d'âme, ce père de trois enfants, féru de ski et d'opéra, n'a pas non plus sa langue dans sa poche. "Moi, je travaille à la Kalachnikov", a-t-il lancé sans ambages lors d'une réunion de cadres.

"C'est plutôt quelqu'un d'atypique et d'extrêmement volontaire. Il peut être dur mais il sait aussi entraîner les équipes, car il a une vraie vision stratégique", tempère-t-on chez Vivarte.

Karim Cheboub, représentant CGT du groupe, rappelle qu'il avait obtenu - fait rarissime - qu'une prime de trois mois et demi de salaire soit versée aux employés lors du LBO de PAI.

CHANGEMENTS ATTENDUS CHEZ CARREFOUR

Si son arrivée chez Carrefour est bien perçue par les investisseurs, elle est aussi très attendue en interne, où les équipes sont largement démobilisées et où des changements sont anticipés au niveau des équipes de direction.

"Chez Vivarte, il y avait tout à refaire et il l'a fait de façon assez musclée. Là, il va faire le ménage, surtout dans l'encadrement", estime Dejan Terglav, responsable syndical Force Ouvrière de Carrefour, qui l'a bien connu chez Casino.

"Pour nous, syndicats, c'est un signal fort, le moral est très bas", ajoute-t-il, faisant allusion aux craintes de démantèlement du groupe de distribution.

Georges Plassat a l'expérience de la pression qu'exercent les actionnaires et n'aime guère qu'on lui dicte sa conduite.

Chez Carrefour, sa force de caractère et son professionnalisme constitueront un élément de poids, selon les observateurs, face à Groupe Arnault (holding personnelle du PDG de LVMH Bernard Arnault) et Colony Capital, qui détiennent ensemble 16% du capital et qui ont montré par le passé qu'ils savaient peser sur la stratégie.

Georges Plassat "n'aime pas que ceux qui ne savent pas lui disent ce qu'il doit faire", souligne un haut dirigeant d'une banque française.

"Il veut avoir les mains libres et a certainement obtenu les assurances qu'il voulait", dit-on en interne chez Carrefour.

Entrés au capital du distributeur juste avant l'éclatement de la crise de 2008, pour un prix de revient moyen d'environ 47 euros, Groupe Arnault et Colony ont été à l'origine d'un projet très contesté - et finalement abandonné - de cotation des actifs immobiliers de Carrefour, et de la scission - effective - de ses opérations de hard discount (Dia).

Critiqués par les investisseurs pour leur approche de court terme et leurs revirements stratégiques, ils n'auront guère d'autre choix que de laisser la bride sur le cou au professionnel Plassat.

Avec une très lourde perte sur leur investissement (le titre Carrefour s'échange aujourd'hui autour de 18 euros), il va sans dire qu'ils leur faut maintenant se fier à son flair. (Avec Dominique Vidalon et Julien Ponthus, édité par Gwénaëlle Barzic)

Valeurs citées dans l'article : CARREFOUR, LVMH, CASINO GUICHARD