Depuis le déclenchement de la crise des subprimes au mois d'août 2007, un grand nombre de techniques de gestion quantitatives ont essuyé des pertes supérieures à celles des marchés. En août 2007, par exemple, certains gérants d'actions long/short ont rencontré d'importantes difficultés : le débouclage massif de positions au mois d'août 2007 a brouillé les signaux sur les marchés, les évaluations produites par certains modèles quantitatifs ont beaucoup donc moins bien fonctionné. En 2008, les arbitragistes sur convertibles ont également connu d'importants revers. Au-delà de ces exemples, plus fondamentalement, les modèles quantitatifs ont été bien incapables de prévoir la crise de liquidité qui a suivi la faillite de la banque Lehman Brothers au mois de septembre 2008. Ils sont pourtant censés détecter à l'aide d'une batterie d'indicateurs toutes les anomalies ou inefficiences de marché. De quoi jeter l'opprobre sur ces techniques de gestion qui par ailleurs s'apparentent pour la plupart des non-initiés à des boîtes noires. «Les investisseurs institutionnels ne comprennent pas toujours à quoi correspond ce type de gestion et entretiennent parfois une confusion entre la gestion quantitative et la gestion indicielle», relate ainsi Frédéric Petiniot, directeur général d'Amadéis.

En quoi cela consiste-t-il ? Schématiquement, la gestion quantitative cherche à optimiser le processus de décision des gérants en intégrant dans le cadre d'un modèle mathématique un très grand nombre de paramètres. Si on prend le cas des actions, l'achat ou la vente dépend du prix qui est déterminé par différents facteurs : les caractéristiques propres à l'entreprise, des données sectorielles, voire macroéconomiques, etc. Le choix de ces facteurs est le fruit de l'analyse d'un gérant ou d'une équipe de gestion. Ils s'appuient pour cela à la fois sur leur expérience, mais aussi sur la théorie financière et sur des modèles statistiques qui permettent d'associer le comportement des prix à certains facteurs. Ces derniers peuvent être classiques comme des ratios concernant la valorisation d'une entreprise ou son endettement ou propres à l'expérience et à l'observation d'un gérant et donc spécifiques.

La gestion quantitative, même si elle permet de rendre objective la prise de décision grâce à la systématisation, repose ainsi sur des hypothèses qui appartiennent à chaque équipe de gestion ou dont l'agencement est propre à chaque équipe de gestion. Toutefois, dès qu'une stratégie gagnante apparaît, celle-ci est systématiquement copiée, ce qui leur confère un caractère moutonnier et peuvent les rendre cycliques. Cette cyclicité est très nette en ce qui concerne les stratégies qui reposent sur l'arbitrage. «Les modèles d'arbitrage statistiques à l'intérieur d'un secteur ont très bien fonctionné jusqu'à l'été 2003, indique Thaddée Tyl, président de Rivoli Fund Management. Ils reposent sur l'hypothèse que la valeur des titres ne s'écarte pas durablement d'une moyenne. Les valeurs qui sous-performent sont de ce fait sélectionnées et revendues dès que les cours reviennent à un niveau moyen. A partir de l'été 2003 face au succès de cette stratégie, on a assisté à un afflux de capitaux, ce qui a entamé sa rentabilité. Les capitaux se sont donc ensuite retirés assurant ainsi une meilleure performance pour cette stratégie entre 2007 et 2009.»

Pour les spécialistes de l'arbitrage, maintenir de bonnes performances repose de ce fait sur deux conditions. «Il faut avoir une taille raisonnable par rapport au marché, c'est-à-dire ne pas investir trop dans une même stratégie, compte tenu de ce que peut absorber le marché, explique Thaddée Tyl. Il faut également avoir une idée de ce que fait le marché au même moment afin de ne pas investir dans des techniques d'arbitrages pour lesquelles les opportunités sont déjà saturées.»
La cyclicité concerne également les modèles dont l'optique d'investissement est à plus long terme. Les stratégies utilisées vont en effet plus ou moins bien performer en fonction de la conjoncture macroéconomique et des cycles boursiers. «Nos modèles de sélection de titres ont bien performé en 2009, bien mieux qu'en 2008, indique Raul Leote de Carvalho, responsable de la recherche quantitative au sein de l'équipe d'ingénierie financière de BNP Paribas Asset Management. Les modèles d'allocation pays et d'allocation sectorielle ont bien passé le cap de la crise en 2008 et 2009. Par conséquent, il est primordial de bien connaître les limites des modèles que l'on utilise et de leur associer un suivi systématique du risque afin de limiter d'éventuelles pertes.» La crise a ainsi permis aux gestionnaires d'affiner leurs analyses. «Les modèles quantitatifs travaillent à partir de données historiques, indique Dr Magne Orgland, associé de la banque privée Wegelin & Co. Avec 2008, ils disposent désormais d'une année extraordinaire avec des informations complètes ; cela n'était pas le cas jusqu'alors car les données concernant la crise des années trente étaient loin d'être exhaustives.»

Un point commun caractérise ainsi les différents modèles utilisés et les maisons spécialisées dans la gestion quantitative : la recherche. Wegelin Asset Management, l'un des grands spécialistes suisses en matière de gestion quantitative, filiale de la banque Wegelin & Co, travaille avec une équipe de recherche pointue comprenant des docteurs en physique, mathématique et économétrie. De son côté, BNP Paribas Asset Management a modifié début 2007 son organisation afin de constituer une cellule entièrement dédiée à la recherche quantitative regroupée dans un pôle d'ingénierie financière. Celle-ci est pilotée par Raul Leote de Carvalho, docteur en physique. «Nous travaillons de façon transversale avec toutes les équipes de gestion d'actifs et intervenons sur toutes les classes d'actifs, indique Raul Leote de Carvalho. Nous contribuons également à la construction des portefeuilles et à la gestion du risque des gestions indicielles, en apportant des solutions favorisant la prise de décisions.» Cette équipe fournit un grand nombre de services aux gérants en plus de la sélection de titres. «Nous établissons des reportings toutes les semaines afin de déterminer les différentes sources de performance des fonds, explique Raul Leote de Carvalho. Pour les gestions qui combinent des approches quantitatives et discrétionnaires (c'est-à-dire dépendant du point de vue du gérant), nous tentons d'isoler les performances dues au modèle et celles issues de la sélection effectuée par les gérants. Nous analysons également les risques à travers le suivi d'un grand nombre d'indicateurs préalablement sélectionnés.»

Ce type d'organisation prévaut chez la plupart des grands gestionnaires quantitatifs. «Nous disposons d'un département recherche important, indique Carl Bang, président-directeur général de State Street Global Advisors en France. Il existe différentes équipes au niveau du groupe qui travaillent toutes en étroite collaboration entre elles, mais aussi avec les gérants de portefeuille. Les modèles sont améliorés en permanence et les meilleures idées en matière de facteurs discriminants permettant de comprendre l'évolution des prix sont recherchées dans toutes les unités et appliquées ensuite partout.»

Les sociétés de gestion de taille plus modeste spécialisées dans les approches quantitatives doivent elles aussi faire un effort important en matière de recherche. «La moitié de nos effectifs est consacrée à la recherche, à la fois sur les systèmes de trading et sur le contrôle des risques, indique Thaddée Tyl, qui affiche une formation d'X-Ensae. Les marchés évoluent constamment, les corrélations entre eux également, ainsi que les technologies utilisées, il faut donc s'adapter en permanence.» L'effort consenti en matière de recherche a vocation à permettre une grande réactivité des fonds. «La gestion quantitative s'adapte instantanément aux événements qui impactent les marchés financiers, explique Dr Magne Orgland. Elle ne dépend pas de réunions mensuelles ou de comités d'investissements.»

Si elle est bien maîtrisée par ses concepteurs et si les stratégies utilisées correspondent bien au timing du marché, ce type de gestion peut ainsi délivrer des performances parfois durablement supérieures aux indices et être utilement intégré à l'allocation d'actifs des investisseurs institutionnels. «La gestion quantitative peut apporter un complément de diversification à un portefeuille, explique Frédéric Petiniot. En ayant un comportement différent d'une gestion traditionnelle, elle permet de diversifier le couple rendement/risque.» Par ailleurs, elle permet de sélectionner des valeurs dans des univers qui vont bien au-delà des grands indices de référence. «La gestion quantitative possède un univers beaucoup plus large que la gestion traditionnelle, indique Carl Bang. Un modèle peut suivre entre 5 000 et 6 000 titres en même temps.»

Elle présente également l'avantage d'offrir un comportement stable et prévisible. «L'investisseur bénéficie de la transparence du fonctionnement du modèle, décrit avec force détails, explique Dr Magne Orgland. Il bénéficie d'une sécurité dans le temps du fait de la stricte discipline du modèle qui provient de ses décisions objectives et de son exécution systématique. La gestion n'est ainsi pas liée aux intuitions d'un gérant 'star' qui pourrait commettre des erreurs ou quitter son établissement.» Régularité et adaptabilité sont d'ailleurs mises en avant par les sociétés de gestion maison comme gage de performance. «Nous conservons une approche disciplinée, même si nous devons intégrer sans cesse de nouveaux facteurs explicatifs et être attentifs aux risques», conclut Carl Bang.

Sandra Sebag