Que surveille-t-on au niveau géopolitique ?

En 2024, ce sont les élections américaines qui vont dominer la géopolitique mondiale. Si Donald Trump est élu, ce serait un véritable game changer. Les élections américaines représentent toujours un enjeu mondial majeur, mais elles le seront encore plus l'an prochain.

En ce qui concerne l'Ukraine, le gros de l'impact du conflit est derrière nous, les marchés l'ont intégré. Tous les secteurs impactés (tels que la logistique, le transport du gaz, les matières premières agricoles) se sont adaptés aux contraintes liées à la guerre. Notons toutefois qu'en 2024 il risque d'être plus compliqué pour les pays qui soutiennent l'Ukraine de faire de la dépense fiscale, le soutien financier sera moins plébiscité.

Au Moyen-Orient, je pense que le conflit va durer. Les Etats voisins du conflit ont tout fait pour limiter l'embrasement, car personne n'a intérêt à ce que le conflit s'envenime, donc le risque est cantonné. Mais il reste un point clef : l'accord de normalisation des relations entre l'Arabie Saoudite et Israël, piloté par les Etats-Unis. L'Arabie Saoudite a précisé qu'en cas d'issue du conflit israélo-palestinien, elle reviendrait à la table des négociations. Ici encore, je pense que l'évolution de la situation dépendra du prochain président des Etats-Unis, ce qui ajoute énormément d'enjeux à la présidentielle américaine de 2024.

Quelle est la situation économique aux Etats-Unis ?

Aux Etats-Unis, le T3 2023 a été très bon, avec une croissance de 5,2% en rythme trimestriel annualisé. Ce rebond est le fait de facteurs temporaires ultra favorables tels que les conditions climatiques (les chaleurs estivales ont poussé à la consommation) ou l’accélération des dépenses.

L'impact de l'industrie du divertissement n'est pas négligeable. Il faut par exemple prendre en compte les retombées des tournées de Beyoncé et Taylor Swift sur l'économie américaine. Cette information peut faire sourire, mais remplir des stades de 50 000 personnes à 1500 dollars la place tous les 2 jours a un effet notable. Les grands succès du Box-Office (Barbie, Oppenheimer, The Equalizer 3) ont aussi tiré les indicateurs vers le haut.

Les secteurs de l'hospitalité (hôtellerie et restauration) ont aussi été très résilients. Les dépenses gouvernementales ont également contribué positivement au PIB. Enfin, le phénomène de "restockage" des distributeurs en amont des fêtes de fin d'année, beaucoup plus rapide qu'au T2, a aussi été favorable.

Cette période faste est derrière nous, la croissance va mécaniquement ralentir au T4.

En effet, la consommation semble s’essouffler, le surplus d'épargne du Covid a quasiment disparu. Les conditions de crédit (des cartes de crédit) se sont nettement durcies pour les ménages, en raison de la hausse des défauts. Les taux associés au « credit revolving » sont extrêmement élevés, au-delà de 20%, et freinent aussi la consommation.

Il faut ajouter à cela la normalisation du marché de l'emploi. Toutes les statistiques liées (croissance des salaires, créations d'emploi) ralentissent. Donc le soutien à la consommation est voué à ralentir dès le quatrième trimestre de cette année.

Ensuite, le remboursement des prêts étudiants fédéraux a également redémarré à partir du 1er octobre, avec près de 27 millions de consommateurs qui vont devoir rembourser en moyenne 200 dollars par mois.

Sur l'immobilier, l'investissement résidentiel avait aussi contribué positivement au T3, pour la première fois en 10 trimestres. Il devrait contribuer négativement au T4. La demande est faible car les taux à 30 ans ont explosé (jusqu'à dépasser les 8% parfois, même s'ils sont revenus autour des 7.5%) et la normalisation du marché de l'emploi va peser sur le secteur. Les transactions ont chuté drastiquement et le moral des promoteurs immobiliers s'est effondré en novembre (indice à 34, alors que le seuil de neutralité est à 50).

Enfin, les conditions de crédit se durcissent aussi pour les sociétés. Les prêts aux entreprises, déjà négatifs en rythme annuel T2-T3, devraient de nouveau afficher une croissance négative au T4. L'investissement devrait donc rester atone.

De nombreux freins apparaissent et confirment un fléchissement de la croissance de la consommation au dernier trimestre par rapport au T3.

Cette année, la croissance américaine devrait s'établir à 2,4%, et fléchir à 1,3% en 2024. 

Il y a une bonne nouvelle dans ce paysage : l'inflation s'est tassée plus rapidement que prévu. Elle va continuer à se normaliser pour passer sous les 3% en rythme annuel au T1 2024, et converger vers les 2% - 2,5% à la fin du T3 2024.

Nous pouvons l'anticiper car la croissance du prix des loyers va ralentir et les prix de l'alimentation vont se normaliser : il faut compter 12 mois de décalage pour ces derniers par rapport aux prix des matières premières agricoles, qui ont baissé de près de 15% en rythme annuel. Le prix des fertilisants, excellent indicateur avancé, a également reculé de 30%.

Sur les biens hors auto, alimentation et énergie, la croissance des prix se tasse car les stocks sont importants. Les distributeurs appliquent de fortes réductions (Black Friday et Cyber Monday) et contribuent à la normalisation.

A court-terme, les prix du pétrole et de l'essence sont favorables. On assiste également à une baisse des prix des véhicules existants et neufs, en dépit de la grève qui a touché le secteur automobile américain cette année, provoquée par un repli de la demande.

Tous ces éléments, ajoutés à une normalisation des salaires, devraient œuvrer en faveur d'un recul de l'inflation, à des niveaux de variation d'avant pandémie.

Comment se porte l'Europe ?

Sur le Vieux Continent, c'est plus compliqué. La deuxième estimation du PIB au T3 était négative. Les PMI pour octobre et novembre sont en situation de contraction, ce qui suggère que sans révision au T3, nous pourrions entrer dans une phase de petite récession technique.

Les problématiques sont nombreuses. Le secteur manufacturier est sinistré et les services plafonnent, notamment parce que le secteur hospitalier a commencé à refluer légèrement, avec une baisse du taux d'occupation dans l’hôtellerie (par rapport à l’année dernière) depuis cet été. Il devait se redresser l'an prochain, avec l'effet JO de Paris, mais va s'essouffler à court terme.

Le gros point noir reste la construction et l'immobilier. La situation est difficile sur tout le continent mais surtout en Allemagne. Dans les statistiques, les annulations et absences de commande sont à des niveaux records depuis que l'indicateur IFO existe (1991). Les prix  immobiliers continuent de refluer de 10% en rythme annuel, et cette situation pourrait s'étendre à l'Europe.

Du côté de la consommation, l'épargne accumulée pendant le Covid est plus importante de ce côté de l'Atlantique (entre 3 et 5% de PIB de surplus). En effet, les modes de consommation sont différents, le recours au crédit est moindre, les européens sont plus prudents. En revanche, le marché de l'emploi se durcit, le PMI emploi s'est contracté (sous 50).

L'inflation, à cause des effets de base, devrait rebondir un peu en décembre et janvier, mais elle devrait ensuite converger vers les 2%-2,5% au début du T3 2024 (et peut être même à la fin du T2 2024), donc un peu avant les Etats-Unis. Quant à l'effet inflationniste des JO, il devrait être limité.

Cette année, la croissance de la zone euro devrait se hisser à 0.5%, et se replier à 0.4% en 2024. Rappelons que les Etats-Unis ont une politique fiscale très expansionniste, qu'ils s'autorisent 6% du PIB de déficit, contre 3.5% en Europe, ce qui explique aussi la divergence de croissance.

Quelle est la situation en Chine ?

Les dernières statistiques confirment que la situation économique est toujours difficile. L'hospitalité est le seul secteur qui résiste, avec des taux d'occupation hôteliers et un trafic aérien qui se redressent à chaque vacances.

Le principal problème de la Chine à court terme reste le marché immobilier. Les transactions sont en baisse en rythme annuel, les prix sont toujours sous pression. Les promoteurs rencontrent donc des difficultés pour se financer. Et tous ces éléments pèsent indirectement sur la confiance des ménages, très exposés à l'immobilier, et cette tendance devrait se poursuivre en 2024.

Il existe aussi des difficultés structurelles persistantes en Chine, telles que la démographie. Rappelons que la population a chuté en 2022 pour la première fois depuis plusieurs décennies.

La Chine souffre d'un grave problème d'attractivité. De plus en plus de sociétés investissent ailleurs qu'en Chine ou décident de sortir du pays. Pour la première fois depuis 1998, les investissements directs étrangers au T3 2023 sont inférieurs aux sorties de capitaux. C'est un réel problème pour la Chine.

Les autorités ont pleinement conscience de ce problème et ont augmenté pour 2023 leur plafond de déficit en conséquence, passant de 3% à 3,8%. Les fonds devraient servir à soutenir les promoteurs et les dépenses dans les infrastructures d'ici la fin de l'année et sur la première partie de 2024.

La politique monétaire est toujours accommodante, notamment parce que la Chine ne souffre pas de l'inflation. Sur les dernières données, elle était même en déflation. L'inflation core est, elle, inférieure ou égale à 1% sur 20 mois consécutifs.

Le pays devrait dépasser son objectif de croissance de 5% en 2023, mais la croissance chinoise devrait vraisemblablement ralentir en 2024, autour des 4.6%.

Dans ce contexte, que peut-on attendre des banques centrales ?

Aux Etats-Unis, il n'y aura plus de relèvement de taux, comme je l'avaisanticipé en août. Je m'attends à ce que la FED baisse ses taux dès le T2 2024. Ils observeront les évolutions du marché de l'emploi avant de prendre une décision, mais je ne serai pas surpris d'une baisse de taux dès le mois de mai. Ils ont intérêt à agir en amont des élections de novembre, pour que leur décision ne soit pas attaquée.

En Europe, j'anticipe une baisse des taux en avril, avant celle de la FED. La dynamique économique est beaucoup plus faible en Europe, le marché emploi se dégrade déjà, et l'inflation est désormais plus faible en Europe qu'aux Etats-Unis. Enfin, il faudra garder un œil sur le secteur immobilier et de la construction en Allemagne. Des deux côtés de l'Atlantique, les difficultés économiques et immobilières (notamment dans le commercial) devraient pousser les banques centrales à être plus accommodantes.

En Chine, la phase d'injection de liquidités devrait se poursuivre jusqu'à la fin de l'année. Nous assisterons peut-être à une baisse des taux de réserve obligatoire des banques d'ici la fin de l'année et à une baisse des taux début 2024. La politique monétaire chinoise va dépendre des statistiques de novembre. Le gouvernement a déployé de nombreuses mesures de soutien, il va probablement attendre d'en voir les effets sur l'économie avant d'agir ou de réinjecter des liquidités.

 

(Propos recueillis par Roxane Nojac)