par Howard Schneider et Ann Saphir

WASHINGTON, 3 décembre (Reuters) - Alors que plusieurs hauts responsables de la Réserve fédérale américaine estiment que la bonne santé de l'économie permettra de s'en tenir à leur stratégie initiale de remontée lente et régulière des taux d'intérêt, la courbe des taux leur a adressé lundi un signal préoccupant qui pourrait changer la donne.

L'écart entre les taux d'intérêt à deux ans et à dix ans s'est en effet réduit pour tomber à son plus bas niveau depuis plus d'une décennie à moins de 15 points de base.

Cet écart ou "spread" est surveillé de très près car certains observateurs le considèrent comme un bon baromètre des risques de survenue d'une récession et des doutes des investisseurs sur l'évolution de la situation économique et de la politique monétaire.

Les investisseurs exigent généralement des rendements d'autant plus élevés que l'échéance des titres qu'ils achètent est longue. Une hausse des rendements à court terme peut traduire des doutes sur l'avenir proche. Et surtout, dans le passé, une inversion de la courbe des taux (des taux courts supérieurs aux taux longs) a souvent précédé des récessions.

Une section de la courbe des rendements s'est déjà inversée: l'écart entre les Treasuries à trois ans et cinq ans est devenu lundi négatif pour la première fois depuis 2007.

Cette évolution pourrait donc contribuer à fragiliser le consensus sur la poursuite des hausses de taux en 2019.

Le président de la Fed de Dallas, Robert Kaplan, a déclaré lundi que la Fed se trouvait dans une période "plus difficile" en raison du ralentissement de la croissance mondiale et de l'impact des hausses de taux déjà décidées par la banque centrale.

La courbe des rendements "m'incite à penser qu'il est sage d'être patient, maintenant", a-t-il dit à Reuters.

Cet ancien banquier de Goldman Sachs, qui dit lui-même surveiller l'évolution de la courbe des rendement plusieurs fois par jour, a estimé que le rétrécissement de l'écart entre les rendements à deux et dix ans reflétait l'évolution des anticipations de croissance.

INCERTITUDES SUR LA CROISSANCE ET L'INFLATION

Au-delà de ce rétrécissement, économistes et investisseurs doivent prendre en compte des indicateurs économiques parfois contradictoires: les résultats de la dernière enquête ISM dans le secteur des services aux Etats-Unis suggèrent à la fois une croissance de l'activité et une dégradation des prix; par ailleurs, la baisse des dépenses de construction a conduit certains à réduire leurs prévisions de croissance du produit intérieur brut (PIB).

Le vice-président de la Fed Randal Quarles a déclaré lundi que la banque centrale, tout en étant "dépendante des indicateurs", suivait une stratégie qui ne serait pas remise en cause par "la moindre oscillation" des statistiques économiques.

"Nous devons être dépendants des indicateurs mais pas réagir à la moindre oscillation de l'aiguille sur le cadran (...) Nous avons tracé, via l'ensemble des moyens de communication, un chemin qui est assez clair", a dit Randal Quarles. "Nous suivons une stratégie et nous prenons en compte les indicateurs au fil du temps en réaction à des changements importants de direction."

S'il est trop tôt pour dire si le resserrement des écarts de rendement est dû aux doutes sur l'évolution de la croissance économique, les autres explications possibles ne sont de toute façon pas forcément rassurantes pour la Fed.

Ainsi, une baisse des anticipations d'inflation, un autre élément déterminant la prime exigée par les investisseurs obligataires, serait une mauvaise nouvelle pour la banque centrale, qui vise un taux d'inflation de 2%.

Pour Roberto Perli, analyste de Cornerstone Macro, la baisse du rendements des Treasuries à dix ans est due à "deux causes principales: (...) la diminution des anticipations d'inflation, liée principalement à la chute des prix du pétrole et aussi en partie à la faiblesse des statistiques de l'inflation, et la diminution de la prime de terme, sans doute favorisée par la détérioration du sentiment sur la croissance mondiale."

L'expression "prime de terme" fait référence au taux d'intérêt plus élevé que les investisseurs exigent généralement pour placer leurs capitaux sur des échéances plus longues.

Si certains responsables de la Fed ont évoqué récemment des "vents contraires" liés au ralentissement de la croissance mondiale et à d'autres risques, il faudra attendre le 19 décembre et la fin de leur prochaine réunion de politique monétaire pour mesurer l'impact de ces facteurs sur leurs prévisions économiques.

(Marc Angrand pour le service français)