par Marie Mawad et Leila Abboud

Ancien directeur de cabinet de la ministre de l'Economie Christine Lagarde, Stéphane Richard briguait depuis plus de dix ans un poste à la tête d'une entreprise au profil hybride, proche du service public, indiquent des proches.

L'homme d'affaires, âgé de 48 ans, convoitait plutôt la présidence de l'électricien EDF mais il prendra finalement la tête de France Télécom alors que s'organise la succession accélérée du P-DG Didier Lombard, fragilisé par une vague de suicides de salariés.

Diplômé de l'Ena et de HEC, fréquemment désigné par la presse comme un proche du président Nicolas Sarkozy, Stéphane Richard affiche le parcours apparemment sans faute d'un homme dont ceux qui l'ont côtoyé, qu'ils l'apprécient ou pas, disent qu'il maîtrise très bien son image.

"Essayez de trouver quelqu'un qui dise du mal de lui, vous n'en trouverez pas", a déclaré à Reuters Alain Dinin, P-DG de Nexity, qui a travaillé avec lui en 1996 dans le cadre de la création de la société foncière.

"Il soigne beaucoup son image", ajoute une source gouvernementale qui l'a connu lorsqu'il était à Bercy.

Des représentants syndicaux jugent pour leur part qu'il a le talent politique pour amadouer et convaincre mais qu'il devra faire ses preuves sur le plan opérationnel et montrer qu'il peut tenir ses promesses dans le domaine social.

"Stéphane Richard a une théorie, il dit: pour tout ce qui est social je suis à gauche, et là où je suis à droite c'est pour les affaires", rapporte la source gouvernementale.

FIN NÉGOCIATEUR

Lorsque le nouveau directeur général fait ses premiers pas sur le terrain, en novembre dernier, plusieurs syndicats de France Télécom pensent flairer une opération de séduction.

"Il dit ce qu'on a envie d'entendre. J'adorerais le croire (...) mais on a des réticences", résume un représentant syndical qui l'a rencontré lors d'un déplacement à Lyon.

"Il prenait des questions. Il a essayé d'amener un échange. Ce n'est pas ce à quoi on était habitué", ajoute-t-il.

Stéphane Richard fait alors notamment des promesses dans le champ social, parle de rupture.

"Je crains qu'il ne fasse comme Nicolas Sarkozy en faisant campagne à gauche mais en gouvernant à droite", déclare Patrick Ackermann, du syndicat Sud.

Lors de leur première réunion en tête-à-tête, Stéphane Richard lui décrit ses racines gauchistes, ses liens avec la gauche, détaille Patrick Ackermann.

D'anciens collègues insistent surtout sur les talents de négociateur de Stéphane Richard.

"Je l'ai déjà vu virer des dirigeants haut placés qui sont sortis de son bureau en le remerciant!", se souvient Alain Dinin. "C'est un très très bon négociateur."

Walter Butler, qui a travaillé à ses côtés en 2005-2006 sur la privatisation de la compagnie maritime SNCM, qui assure les liaisons avec la Corse, raconte l'habileté de l'homme d'affaires lors de longues négociations avec les salariés et les syndicats.

"On parlait jour et nuit avec (eux). Stéphane Richard était assez doué pour ce genre de discussions. (...) Il sait où il veut aller et il y va avec finesse", explique Walter Butler.

LE TECHNICIEN ET LE POLITICIEN

Chez France Télécom, l'ancien inspecteur des finances est invité au conseil d'administration il y a huit ans par Thierry Breton, en qualité d'administrateur indépendant.

Il fait un passage au ministère de l'Economie, dont on retiendra surtout son sang-froid pendant la crise financière, raconte Olivier Sichel, ancien P-DG de Wanadoo et proche de Stéphane Richard.

Il revient chez l'opérateur en mai 2009 afin de préparer la succession de Didier Lombard en 2011 mais une crise sociale précipite les événements et il est nommé directeur général délégué à l'été.

Il veut dès lors se démarquer de son prédécesseur et évoque fréquemment lors de ses déplacements la "rupture" avec l'ancien France Télécom.

"La différence (avec Didier Lombard) est flagrante. On avait d'une part un technicien, de l'autre on a le politicien. Avec Stéphane Richard on a un homme de 'comm', un 'showman'", estime un représentant syndical qui l'a rencontré à Bordeaux.

"Face à la caméra, il use de tout son charme."

Les syndicats disent attendre des résultats concrets, tandis que sur l'intranet de l'entreprise le nouveau directeur général "promet monts et merveilles" dans des interviews filmées, raconte un salarié.

La communauté financière espère quant à elle que le nouveau directeur général profitera jeudi de la réunion de présentation des résultats annuels du groupe pour préciser son projet pour l'opérateur télécoms.

Avec la contribution de Jean-Baptiste Vey, édité par Dominique Rodriguez