par Pascale Denis

Si L'Oréal se refuse depuis toujours à tout commentaire concernant "une affaire privée" sans effet, selon lui, sur le fonctionnement du groupe, les analystes estiment que l'affaire Bettencourt-Banier n'est pas sans conséquences.

"C'est un sujet (le procès), dans la mesure où cela entraîne un tas d'interrogations sur un éventuel rachat du groupe, sur les intentions de Françoise Bettencourt Meyers, sur les conséquences d'une éventuelle mise sous tutelle de Liliane Bettencourt", commente un analyste qui a souhaité garder l'anonymat.

"Le bruit entretient la spéculation", ajoute-t-il.

Le procès, dont l'ouverture est prévue jeudi devant le tribunal correctionnel de Nanterre, pourrait cependant être reporté pour complément d'enquête.

La participation de la famille Bettencourt, premier actionnaire de L'Oréal avec 30% du capital, est détenue à travers la holding Téthys, dont les titres appartiennent en nue-propriété à la fille de Liliane Bettencourt, Françoise Bettencourt Meyers, ainsi qu'aux deux fils de celle-ci.

Liliane Bettencourt, qui a l'usufruit des titres, n'a nullement délégué ses pouvoirs au sein du groupe fondé en 1909 par son père Eugène Schueller. Elle exerce à elle seule la totalité des droits de vote attachés aux actions.

"NESTLÉ SAIT ATTENDRE"

Si la justice considérait Liliane Bettencourt comme incapable, ses titres ne reviendraient pas pour autant à sa fille mais à un mandataire ad hoc désigné par un tribunal, a récemment estimé Olivier Metzner, avocat de Françoise Bettencourt.

Selon un analyste, "une mise sous tutelle pourrait avoir un impact sur l'évolution de l'actionnariat de L'Oréal".

Après des spéculations prêtant à Françoise Bettencourt Meyers l'intention de vouloir céder la participation familiale à Nestlé, qui détient 28,9% du groupe de cosmétiques, celle-ci avait déclaré en mars que cette hypothèse relevait du "procès d'intention et de l'ineptie juridique".

Jusqu'ici, la fille de Liliane Bettencourt a toujours affirmé son souhait et celui de sa famille de continuer à "accompagner avec responsabilité et engagement le développement de L'Oréal dans le futur".

Nestlé et la famille Bettencourt sont liés par un pacte d'actionnaires qui court jusqu'en 2014. Si la famille décidait de vendre ses parts, elle devrait le faire en priorité à Nestlé, et vice versa. Le groupe suisse s'est aussi engagé au statu quo du vivant de Liliane Bettencourt - qui est âgée de 87 ans - et pendant une durée de six mois après sa disparition.

Mais aux dires de certains analystes, ce pacte ne diminue en rien le caractère spéculatif du titre.

"Nestlé sait attendre. Il attendra son heure", commente l'un d'entre eux pour qui le suisse voudra saisir "une opportunité de croissance et de diversification stratégiquement très intéressante".

Depuis le début de l'année, le titre L'Oréal affiche un gain de 4%, tandis que son principal concurrent européen Beiersdorf recule de 2,6% sur la période.

La valeur se traitait à 80,85 euros à la Bourse de Paris mercredi, pour une capitalisation boursière de 48,6 milliards d'euros. Avec un multiple de valorisation de 17,5 fois ses bénéfices estimés pour 2011, elle affiche une prime de 18% par rapport à ses pairs en Europe.

La spéculation a refait surface après que Nestlé eut vendu le solde de sa participation dans le spécialiste américain de l'ophtalmologie Alcon pour 28 milliards de dollars.

NESTLÉ PLUTÔT VENDEUR QU'ACHETEUR

Mais pour la majeure partie des experts interrogés, Nestlé serait plutôt vendeur qu'acheteur de sa participation, après la disparition de Liliane Bettencourt.

"Nestlé n'est pas le bienvenu chez L'Oréal. Une offre serait forcément hostile, ce qui n'est pas du tout dans les habitudes de Nestlé", commente l'un d'entre eux, pour qui un rapprochement entre l'agro-alimentaire et les cosmétiques n'offrirait en outre aucune synergie.

Selon lui, L'Oréal pourrait très bien racheter une partie de cette participation - financée notamment par sa part dans Sanofi-Aventis -, la famille Bettencourt et le marché reprenant le solde.

Un banquier d'affaires a également déclaré à Reuters ne pas voir de logique de rapprochement entre les deux secteurs d'activité. "Ils vendront leur part quand ce sera possible" a-t-il dit.

La prise de participation de Nestlé au capital de L'Oréal remonte à 1974, en pleine campagne pour l'élection présidentielle en France. Elle visait, dit-on, à protéger le groupe français des nationalisations prévues alors par le programme commun de la gauche.

Edité par Dominique Rodriguez