* Valls en tenaille entre des exigences contradictoires

* Des marges de manoeuvre politiques et budgétaires limitées

* Une partie du PS conteste mais la confiance devrait être votée (Actualisé avec Valls Sur i>Télé)

par Emmanuel Jarry

PARIS, 7 avril (Reuters) - Manuel Valls tentera mardi de donner un nouveau souffle au quinquennat de François Hollande en dévoilant dans son discours de politique générale un programme de baisse du coût du travail et d'économies déjà contesté dans la majorité.

Fort d'une popularité relative acquise au ministère de l'Intérieur et de sa réputation d'homme à poigne, le nouveau Premier ministre a été appelé à la rescousse par le chef de l'Etat après la déroute de la gauche aux élections municipales.

Mais il a hérité d'une feuille de route déjà largement tracée sous son prédécesseur, Jean-Marc Ayrault.

François Hollande en a rappelé les termes le soir de sa nomination : lancement du pacte de responsabilité pour les entreprises, complété par un effort de solidarité pour les ménages modestes, transition énergétique et réduction des dépenses publiques de 50 milliards d'euros en trois ans.

Cet ordre de mission ne laisse guère d'initiative au nouveau Premier ministre, dont le chef de l'Etat attend surtout fermeté et efficacité dans l'exécution.

Manuel Valls a promis lundi sur i>Télé du concret : "Il y aura évidemment des éléments concrets parce que je veux être efficace". "Si nous avons composé avec le chef de l'Etat un gouvernement compact, paritaire, avec 16 ministres, c'est pour gagner du temps."

"Si nous voulons travailler avec le Parlement, avec la majorité d'abord, mais avec le Parlement, c'est pour être plus efficace. Les Français attendent des actes, nous devons créer des conditions de soutien à la croissance, aux entreprises. Et donc, demain, je serai précis", a-t-il ajouté.

Le ministre des Finances, Michel Sapin, a assuré lundi à Berlin que Manuel Valls apporterait des précisions à la fois sur le pacte de responsabilité et les réductions de dépenses.

Selon une source gouvernementale, celles-ci concerneront l'Etat pour près de 20 milliards d'euros, les collectivités locales pour une dizaine de milliards et la protection sociale pour au moins 20 milliards, dont dix pour la santé.

SURVEILLANCE RENFORCÉE

Un membre du gouvernement ne cache pas qu'il faudra sans doute remettre en cause la promesse de François Hollande de créer 60.000 emplois en cinq ans dans l'Education.

"Pour atteindre 50 milliards ou un peu plus, on est obligé de toucher à un engagement présidentiel, voire plusieurs."

Manuel Valls pourrait également être tenté de prolonger le gel du point d'indice des fonctionnaires, au risque de déchaîner les syndicats de la fonction publique.

"Ça fait quatre ans que ça dure, il est hors de question pour nous qu'il y ait une cinquième année", a ainsi déclaré à France 2 le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger.

Sur ce point comme sur d'autres, le Premier ministre est sous surveillance renforcée de sa majorité mais aussi de l'Union européenne et des partenaires sociaux, et pris en tenaille entre des exigences contradictoires.

Commission et Banque centrale européennes ont opposé une fin de non recevoir aux appels du pied de la France, qui aimerait un délai supplémentaire pour ramener ses déficits publics sous les 3% du PIB, et l'ont exhortée à procéder aux réformes promises.

Inversement, 86 élus socialistes, dont 82 députés, la moitié venus de courants autres que ceux de la gauche du PS, ont signé une plate-forme réclamant "une réorientation européenne mettant fin aux politiques d'austérité".

Les mêmes contestent la logique du pacte de responsabilité, dans lequel ils voient un chèque en blanc offert au patronat, et exigent qu'un "pacte national d'investissement" remplace ses "mesures les plus coûteuses", envisagées "sans conditions".

Or Manuel Valls, taxé de social-libéral par ses détracteurs de gauche, n'a ni le goût ni vraiment la possibilité de faire machine arrière, tant la pression des organisations patronales pour redonner des marges aux entreprises est forte.

"Il faut accepter de ne pas contenter tout le monde", souligne un haut dirigeant d'une grande entreprise.

GESTES FISCAUX

Ce pacte consiste à ajouter aux 20 milliards d'euros du crédit d'impôt compétitivité emploi dix milliards de baisse de charges sociales patronales, en contreparties d'investissements et d'embauches, à négocier notamment dans les branches.

Ces baisses de charges pourraient être réparties entre les bas salaires pour favoriser l'emploi et un élargissement du Cice pour améliorer la compétitivité des entreprises exportatrices.

Devraient s'y ajouter six à huit milliards d'euros de réduction d'impôts, selon des sources parlementaires.

"On se dirige vers la suppression de la C3S et l'extinction de la surtaxe d'impôt sur les sociétés", confie à Reuters le député socialiste Yves Blein, membre d'un groupe de travail des assises de la fiscalité des entreprises.

La Contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), assise sur le chiffre d'affaires, représente 4,5 à 5,5 milliards d'euros et la surtaxe d'IS 2,5 milliards.

Le "pacte de solidarité" est censé compenser ces mesures en faveur des entreprises par un volet justice sociale.

Il s'appuiera sur les travaux d'un groupe de travail mis en place par Jean-Marc Ayrault sur la fiscalité des ménages mais dont les propositions sont loin de la remise à plat annoncée.

A court terme, elles se résument pour l'essentiel à une baisse des cotisations salariales sur les bas salaires jusqu'à 1,3 smic en deux temps : deux à trois milliards d'euros en 2015 et deux milliards supplémentaires en 2016. ( )

Or une telle mesure est jugée soit insuffisante par des élus de la majorité, soit dangereuse pour l'avenir du financement de la protection sociale par la gauche du PS et des syndicats.

"Si (...) les droits baissent de l'autre côté, ce n'est pas satisfaisant du tout, on sera contre", avertit Laurent Berger.

Cependant, malgré l'humeur frondeuse de dizaines de députés PS, qui disent vouloir redonner du pouvoir au Parlement, et le vote incertain d'écologistes, qui se sont exclus d'eux-mêmes du gouvernement, Manuel Valls devrait obtenir la confiance, lors du vote qui suivra son discours. ( ) (avec Gérard Bon, édité par Sophie Louet)