Londres (awp/afp) - C'est un coup dur pour la City, qui cherche à maintenir son rang après le Brexit: le géant des matériaux de construction CRH a annoncé jeudi son intention de transférer sa cotation principale de la capitale britannique vers les Etats-Unis.

L'Amérique du Nord représente désormais environ 75% du bénéfice d'exploitation du groupe et "les États-Unis devraient être un moteur clé de la croissance future de CRH", justifie l'entreprise dans un communiqué.

"Nous sommes maintenant arrivés à la conclusion qu'une cotation primaire aux États-Unis apporterait davantage d'opportunités commerciales, opérationnelles et d'acquisition pour CRH", poursuit-elle, précisant que l'entreprise restera basée en Irlande.

Cette annonce porte un coup à la City de Londres, qui cherche à conserver son rang de principale place européenne et de centre financier mondial de premier plan après le Brexit.

"Cette décision est pragmatique pour le conseil d'administration" de CRH mais il s'agit d'un "coup dur" pour la capitale britannique, estime Neil Wilson, analyste de la société de trading Finalto.

"Il y a aussi le fait que (le groupe) pourrait obtenir une valorisation plus élevée sur le marché boursier américain, ce qui pourrait s'avérer utile s'il souhaite émettre des actions" en vue d'acquisitions, décrypte Russ Mould, analyste de AJ Bell.

Si une valorisation plus élevée n'est pas automatique outre-Atlantique, "les réserves de capitaux sont plus importantes, la liquidité est plus grande et - généralement - les actions américaines se négocient" à un niveau plus élevé que les titres britanniques et européennes, précise l'analyste auprès de l'AFP.

Les investisseurs ont applaudi la décision de CRH, et le titre a bondi jeudi de 8,03% à 4.276,50 pence à la Bourse de Londres.

"Défiance"

"Il y a de nombreuses autres sociétés du FTSE 100 (le principal indice de la place britannique, ndlr) qui font des affaires aux Etats-Unis" et qui pourraient suivre cet exemple, selon M. Mould. "Ce n'est pas une bonne perspective pour la Bourse de Londres".

Cette nouvelle intervient quelques jours après la révélation par le Financial Times que des hauts dirigeants de Shell avaient envisagé, en 2021, de transférer le siège et la cotation du géant de l'énergie aux Etats-Unis.

Le groupe avait finalement décidé de consolider son ancrage à Londres mais de quitter les Pays-Bas.

Et selon la presse, Arm, le concepteur britannique de microprocesseurs que son propriétaire, le japonais SoftBank Group, s'apprête à réintroduire en Bourse, aurait aussi jeté son dévolu sur New York au détriment de Londres.

Cette accumulation "ressemble à une marque de défiance envers l'environnement d'investissement" au Royaume-Uni, estime Michael Hewson, analyste de CMC Markets, auprès de l'AFP.

L'analyste pointe notamment des politiques gouvernementales qui "découragent l'investissement", au premier rang desquelles une augmentation de l'impôt sur les sociétés de 19 à 25% prévue cette année.

De fait, depuis l'entrée en vigueur effective du Brexit début 2021, les places européennes ont déjà commencé à disputer la pole position de Londres en Europe, Amsterdam en termes de valeur d'échanges et Paris pour la valeur des actions des entreprises cotées.

Pour tenter de répondre à la concurrence européenne, le régulateur financier britannique (FCA) a déjà assoupli les règles d'introduction en Bourse, notamment en réduisant fin 2021 de 25% à 10% la proportion d'actions devant être mises à disposition du public.

D'autres propositions sont à l'étude, notamment pour réduire l'exigence de présenter "trois ans d'historique de revenus, ce qui pourrait aider à attirer davantage d'entreprises de biotechnologie en particulier", relève Susannah Streeter, analyste de Hargreaves Lansdown.

"Le marché londonien s'était montré plus résistant ces derniers mois, mais les inquiétudes concernant la vigueur de l'économie mondiale refont lentement surface", selon elle.

Le FTSE 100, principal indice de la Bourse de Londres, était passé mi-février pour la première fois au-dessus de la barre des 8.000 points, mais il est depuis redescendu sous ce seuil symbolique.

afp/rp