Avec 89% des suffrages exprimés en faveur d'une République catalane indépendante lors du référendum, illégal, d'autodétermination du 1er octobre, la majorité indépendantiste a remporté une victoire attendue. En effet, les Catalans étant en majorité opposés à un tel processus, unilatéral et jugé anticonstitutionnel par le Tribunal suprême espagnol, beaucoup ne se sont pas déplacés. Les dernières enquêtes d'opinions montraient que moins de la moitié des Catalans soutenait la tenue d'un référendum unilatéral, ce qui explique une participation réduite à 43% de l'électorat. La Généralité maintient cependant que près de 15% des électeurs n'a pas pu se rendre aux urnes en raison de « l'action sauvage de la police d'État ». En effet, bien qu'elle ait le droit constitutionnel en sa faveur et que l'adhésion populaire au projet sécessionniste se limite à 38% de l'électorat catalan, Madrid a bel et bien perdu la bataille des images ce dimanche, renforçant l'unité des indépendantistes autour de leur projet unilatéral.

Même si le courant indépendantiste reste minoritaire dans l'opinion catalane et que la modification du statut catalan nécessite une majorité des deux tiers au Parlement régional, l'exécutif catalan devrait déclarer unilatéralement l'indépendance de la communauté autonome, comme le prévoit la « loi de transition juridique », votée le 6 septembre 2017 et aussitôt suspendue par le Tribunal suprême. Ce texte prévoit l'élaboration d'une nouvelle Constitution en un an, via un processus participatif, puis l'élection d'une Assemblée constituante et son adoption finale par référendum. Mais il semble peu probable que la déclaration unilatérale d'indépendance soit suivie d'une réelle mise en œuvre.
Composée de partis d'horizons différents (libéro-conservateurs, sociaux-démocrates, anticapitalistes eurosceptiques), la majorité indépendantiste reste fragile et pourrait se déchirer quant à la poursuite de la voie unilatérale pour aller vers l'indépendance. De plus, l'État central dispose de différents outils légaux pour bloquer une sécession unilatérale, de jure proscrite par la Constitution espagnole qui garantit l'unité indissoluble de la nation espagnole et la solidarité entre ses régions. Une telle sécession ne change en rien le statut juridique officiel de la Catalogne et n'offre donc aucun fondement juridique pour que cette région espagnole soit, par exemple, exclue de l'union commerciale et monétaire européenne. Son caractère anticonstitutionnel a offert la base légale à Madrid pour condamner les élus et fonctionnaires catalans et prendre le contrôle des finances publiques et de la police de la Généralité. Le pouvoir central pourrait accentuer encore la pression en arrêtant les dirigeants catalans et en suspendant un peu plus l'autonomie financière (en coupant ses financements via le Fonds de Liquidité des Autonomies) et politique (via la loi de Sécurité nationale et l'article 155 de la Constitution) de la région. Cependant, le gouvernement central ne semble pas en mesure d'accentuer la pression, sous peine de perdre le soutien indirect des nationalistes basques et des socialistes au Congrès, dont il a besoin par exemple pour le vote prochain du budget.

Par ailleurs, un maintien de la stratégie unilatéraliste catalane entraînerait vraisemblablement un durcissement des pressions, mais cela impliquerait une forme de sédition de la part des Catalans qu'une majorité, démocrate et pacifiste, de l'alliance indépendantiste ne semble pas prête à déclencher. En effet, plutôt qu'une véritable volonté de sécession, l'épouvantail de l'unilatéralisme s'apparente davantage à un moyen de pression pour obtenir une autonomie fiscale accrue, telle que celle qui avait été votée en 2006 mais censurée en 2010 par le Tribunal constitutionnel. Au vu des dernières déclarations du gouvernement central et des indépendantistes libéro-conservateurs, une fenêtre de négociations pourrait s'ouvrir sur la base de la proposition, jusqu'ici rejetée par Madrid, du pacte fiscal de 2012.

Il faudra toutefois modifier la Constitution, pour la reconnaissance d'une nouvelle autonomie fiscale, à l'image de celle dont jouissent le Pays basque et la Navarre. Cela pourrait également déclencher l'ire des autres communautés autonomes, alors qu'il faudra leur accord, en plus d'un consensus politique, pour adopter une réforme d'envergure du modèle de financement des régions. Cela pourrait prendre plusieurs années et les tensions autour du modèle territorial espagnol ne sont donc pas près de disparaître.

Par Léopold Jouven, Etudes Economiques Groupe - Crédit Agricole S.A.

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