Les changements à la tête du groupe annoncés jeudi soir suggèrent que Blue Capital, alliance de l'homme d'affaires Bernard Arnault et du fonds américain de capital-investissement Colony Capital, pourrait préparer une vente ou une scission des activités du groupe dans les marchés émergents à forte croissance afin de récupérer une partie de sa mise.

L'action Carrefour chute de 40% depuis janvier, clôturant à 18,715 euros vendredi, au plus bas depuis 1995, ce qui porte à plus d'un milliard d'euros la perte potentielle sur des actions achetées par Blue Capital à un prix moyen d'environ 45 euros.

Carrefour, qui vient d'essuyer un cuisant revers au Brésil face à Casino, a nommé Pierre-Jean Sivignon au poste du directeur financier, pour succéder à Pierre Bouchut qui hérite de la direction des marchés émergents.

A première vue, Pierre Bouchut semble payer le prix de quatre avertissements sur résultats en moins d'un an, et son départ pourrait préparer la voie à l'abandon de l'objectif de croissance des résultats du groupe en 2011, que les analystes jugent quasiment inévitable.

Mais l'homme est réputé proche de Blue Capital - qui détient 14% du capital de Carrefour et environ 20% des droits de vote - et son nouveau poste pourrait signaler la reprise en main envisagée par Carrefour sur sa stratégie dans les émergents.

"(C'est) un excellent poste, mais étant donné que l'actionnaire activiste clé Blue Capital est de plus en plus acculé à récupérer sa mise et après la fusion ratée au Brésil et le 'spin-off' de (la chaîne espagnole de discount) Dia, cette nomination nous amène à nous demander ce que le groupe a en tête pour les marchés de croissance", note John Kershaw, analyste chez Bank of America-Merrill Lynch.

MAINTENIR LA MARQUE SUR LA SCÈNE MONDIALE

Pierre Bouchut remplacera Thierry Garnier qui, selon une source proche du dossier, s'était opposé à la tentative de Blue Capital de scinder les actifs immobiliers de Carrefour.

Carrefour s'est refusé à tout commentaire sur la nomination de Pierre Bouchut, tandis que Blue Capital n'était pas immédiatement disponible.

Vendre ou scinder les activités dans les pays émergents pourrait redonner des couleurs au titre Carrefour. Nombres d'analystes jugent que le cours actuel ne prend pas totalement en compte la valeur des actifs du groupe, notamment au Brésil et en Chine, en raison des inquiétudes concernant la faiblesse de ses activités en Europe occidentale.

Les analystes estiment que Carrefour attirerait de nombreux candidats pour ses magasins au Brésil et en Chine - le numéro un mondial Wal-Mart étant considéré comme l'acquéreur le plus probable -, mais certains se demandent si un repreneur voudrait de l'ensemble de ses actifs dans les émergents. Lors de la vente de ses magasins en Thaïlande en 2010, Carrefour n'avait pas réussi à céder ses activités en Malaisie et Singapour.

Pour cette raison, le groupe pourrait préférer scinder ses activités en Asie et en Amérique latine, qui ont réalisé un résultat opérationnel combiné d'environ 730 millions d'euros en 2010, soit un peu plus d'un quart du total hors Dia.

Un actionnaire de Carrefour, qui a souhaité rester anonyme, a souligné qu'une scission des actifs du groupe dans les marchés émergents pourrait rendre ses activités en Europe plus attractives pour des fonds de capital-investissement.

Le groupe pourrait alors se concentrer sur le redressement de ses activités sur le Vieux Continent loin des projecteurs des marchés boursiers et affronter sur une base plus équitable ses concurrents, pour la plupart non cotés.

Un tel démantèlement, qui maintiendrait la marque Carrefour sur la scène mondiale, pourrait s'avérer également plus acceptable pour les responsables politiques français qu'une vente par appartements à ses concurrents, a ajouté cet actionnaire.

Cyril Altmeyer pour le service français, édité par Dominique Rodriguez

Valeurs citées dans l'article : CARREFOUR, CASINO GUICHARD, WAL-MART STORES