L'abandon définitif ou temporaire de l'emblématique projet du PDG Lars Olofsson pourrait aussi sceller le sort de ce dernier à la tête d'un groupe en plein désarroi, pris en tenailles entre la chute de ses résultats, la détérioration de son bilan et une croissance européenne en berne.

Jusqu'ici, les grands actionnaires de Carrefour, le fonds Colony Capital et Groupe Arnault -holding familiale du PDG de LVMH Bernard Arnault- disent apporter leur soutien à la stratégie du distributeur, mais nombre d'observateurs pensent que le couperet pourrait tomber début 2012 si les résultats ne sont pas au rendez-vous.

"Le discours officiel, c'est qu'il soutiennent le PDG, jusqu'au moment où ils le lâcheront", souligne un analyste qui a souhaité garder l'anonymat.

Le numéro deux mondial de la distribution, ébranlé par nombre d'errements stratégiques, une valse de dirigeants sans précédent et pas moins de cinq avertissements sur résultats en l'espace d'un an, doit présenter son chiffre d'affaires annuel le 12 janvier.

Il est attendu sur deux sujets cruciaux : l'évolution des ventes de ses hypermarchés en France, où il sous-performe ses concurrents et perd des parts de marché depuis des mois, ainsi qu'un point détaillé sur les ventes de Planet.

Aujourd'hui, nombre d'experts estiment que l'ambitieux programme lancé à grand renfort de publicité il y a un an, concernant 503 hypermarchés en Europe pour un coût de 1,5 milliard d'euros, n'est plus tenable.

"Planet arrive trop tard et ne convient pas à l'environnement économique d'aujourd'hui en Europe", estime Nicolas Champ, analyste de Nomura, pour qui "il est temps d'arrêter le déploiement d'un concept trop consommateur de fonds propres".

"AU PLACARD"

Fin août, Carrefour a déjà revu en baisse ses ambitions avec 20 transformations et 19 rénovations de moins que prévu.

Les analystes sont très perplexes quant aux résultats de Planet. Jusqu'ici, Carrefour s'est contenté d'indications de croissance concernant seulement quatre magasins "pilotes", un échantillon jugé bien trop limité pour être représentatif.

"Affirmer que les ventes sont nettement supérieures à celles des hypers traditionnels ne veut absolument rien dire", déplore l'un d'eux manifestement exaspéré. Car toute rénovation de magasin, chez n'importe quel distributeur, est suivie d'une progression à deux chiffres des ventes, ajoute-t-il.

Pour Natalie Berg, analyste de l'institut Planet Retail, "une pause serait logique compte tenu de la baisse de la rentabilité du groupe en Europe". Planet coûte le double d'un hypermarché traditionnel et le retour sur investissement n'est pas là pour justifier de telles dépenses, souligne-t-elle.

"Il faudrait mettre le projet au placard", tranche James Monro, analyste de Standard & Poor's.

Alors que Carrefour doit encore consentir des baisses de prix pour réduire l'écart avec son grand concurrent Leclerc, mais aussi combler son retard sur les formats de proximité, le drive et le e-commerce, tous s'accordent à dire qu'il doit allouer plus efficacement ses ressources.

Planet, c'est "un cautère sur une jambe de bois (...) Il faut qu'ils s'attèlent aux vrais sujets", plaide Bryan Roberts, directeur au sein du cabinet de conseil Kantar Retail.

Car la génération de cash-flow du groupe est limitée par la chute de ses résultats. Elle est aussi amputée de 10% à 15% par la scission de Dia, spécialiste du hard discount mis en Bourse en juillet à la demande de Colony et Groupe Arnault.

"Une pause dans Planet, se serait une décision stratégique lourde qui pourrait être prise par un nouveau management", estime un analyste.

L'atmosphère est tellement viciée en interne que le départ de Lars Olofsson pourrait accélérer les chantiers, surtout s'il est remplacé par un distributeur, ajoute-t-il.

Mais si les jours de Lars Olofsson semblent comptés à la tête de l'entreprise, l'homme providentiel qui le remplacerait est difficile à trouver.

Des analystes estiment que l'ancien directeur financier Pierre Bouchut, nommé en août à la direction des marchés de croissance, serait un solide prétendant, ainsi que le Suisse Thomas Hübner, arrivé en juillet chez Carrefour pour diriger les opérations du groupe en Europe (hors France).

BILAN FRAGILISÉ, CESSIONS D'ACTIFS

Certains estiment que Colony et Groupe Arnault pourraient ne pas attendre l'échéance de janvier, date à partir de laquelle Lars Olofsson pourra toucher une retraite chapeau, risquant de provoquer un tollé semblable à celui qui avait suivi le départ en 2005 de Daniel Bernard, qui avait finalement dû renoncer à ses indemnités.

L'étau s'est encore resserré sur Carrefour le 10 novembre. L'agence Standard & Poor's a abaissé à "négative" sa perspective sur la note de crédit du groupe, invoquant l'érosion de ses résultats et de ses parts de marché en France.

S'il veut préserver sa notation (BBB+), Carrefour va devoir arbitrer, selon Nomura, entre dividende et investissements.

Or une baisse du dividende semble difficilement acceptable par Colony et Groupe Arnault compte tenu des pertes colossales qu'ils accusent à ce jour. Entrés au capital de Carrefour pour un prix moyen estimé entre 47 et 50 euros, leur investissement a plus que diminué de moitié. Le titre Carrefour s'échange autour de 19,00 euros, celui de Dia aux environs de 3,00 euros.

Les analystes de JP Morgan jugent pour leur part que pour maintenir son dividende et procéder aux baisses de prix encore nécessaires, Carrefour va devoir céder des actifs pouvant totaliser plus de 5,0 milliards d'euros en Europe (Grèce, Portugal, Turquie, Roumanie) et en Amérique latine (Colombie).

Le fonds activiste Knight Vinke -qui avait mené avec succès la fronde contre le projet d'introduction en Bourse d'une partie de l'immobilier du distributeur au printemps dernier et réclame aujourd'hui la nomination d'un président indépendant des charges opérationnelles et de deux directeurs généraux, pour l'Europe et les pays émergents- semble lui aussi plaider pour un démantèlement. Mais plus radical.

"Je pense que le débat sur un démantèlement reste ouvert au sein du conseil", commente un analyste.

Colony comme Groupe Arnault se sont refusés à tout commentaire.

Avec la contribution de Mark Potter, édité par Dominique Rodriguez