"Ma priorité, c'est l'emploi mais mon cap c'est la croissance", a déclaré le chef de l'Etat lors de son intervention sur France 2, jeudi soir, destinée à reconquérir une opinion de plus en plus défiante.

S'il a réitéré à cette occasion son objectif d'inverser la courbe du chômage d'ici fin 2013, il n'a fixé aucun horizon pour le retour de la croissance même si les deux sont liés.

Certes, l'éventualité d'une embellie sur le front de l'emploi peut être confortée par la perspective d'un rebond d'autant plus marqué que l'activité aura été déprimée en 2013.

"Il y a une similitude entre l'épisode de récession de 1991-1993 puis l'épisode de reprise contrariée des années 1994-1996 et le profil de croissance 2008-2012", relevait Olivier Passet, directeur des études économiques de Xerfi, en début d'année.

"2013 pourrait ressembler à l'année 1997, l'aube d'un cycle de croissance compensatoire dans sa durée et son ampleur", estimait-il alors, soulignant par ailleurs l'amélioration de l'environnement international et un contexte de taux d'intérêt exceptionnel avec des taux réels nuls ou quasi nuls.

Mais la capacité de rebond de l'économie française, comme celle de plusieurs de ses partenaires de la zone euro, est mise à mal par les dégâts occasionnés par la crise financière de 2008-2009, souligne Patrick Artus, responsable des études économiques de la banque Natixis.

Selon lui, les prévisions actuelles pour 2014 et au-delà pour ces pays se fondent sur une appréciation trop optimiste de leur "croissance potentielle", que les économistes définissent comme le niveau de production correspondant à l'utilisation normale et efficace de l'ensemble des ressources productives.

Les prévisions pour les pays de la zone euro - qui s'inscrivent pour l'année prochaine, s'agissant des principales institutions internationales, dans une fourchette de 1,0% à 1,4% pour la zone euro et de 0,9% à 1,3% pour la France - "montrent un retour à une croissance supérieure à la croissance potentielle en 2014".

PAS DE RATTRAPAGE

"L'idée derrière ces prévisions consensuelles est probablement que le PIB étant en 2013 très inférieur au PIB potentiel, il doit y avoir rattrapage, retour du PIB vers le PIB potentiel, donc croissance supérieure à la croissance potentielle", explique Patrick Artus.

Mais, selon lui, elles "ignorent complètement le fait que les pays de la zone euro ont perdu du PIB potentiel, avec la destruction de capacité de production due à la crise". L'économiste invoque la hausse des faillites, la montée du chômage et le fort recul de l'investissement productif.

"Le PIB potentiel ayant été réduit, il n'y a pas de rattrapage à envisager et la croissance sera nettement plus faible que celle des prévisions consensuelles à partir de 2014", prédit-il.

Le débat sur le PIB potentiel, dont le projet de loi de programmation pour les finances publiques pour 2012-2017 se faisait l'écho, est loin d'être anodin en raison de ses implications sur le plan budgétaire.

Il est en effet déterminant pour apprécier le déficit public "structurel", dont les Européens sont convenus dans le cadre de la réforme de la gouvernance de la zone euro qu'il ne devait pas excéder 0,5% du PIB dans les pays à fort niveau d'endettement.

Ce solde structurel se définit comme le niveau de déficit ou excédent des comptes publics si le PIB était égal à son niveau potentiel.

Dans la loi de programmation pour 2012-2017, le gouvernement soulignait ainsi la faiblesse de l'estimation de la croissance potentielle de la France retenue par la Commission européenne, à 1,1% par an en moyenne.

ENCORE 20 MILLIARDS D'ECONOMIES EN 2014 ?

Croissance potentielle et solde structurel sont au coeur de l'actualisation du programme de stabilité que Paris négocie actuellement avec la Commission européenne en échange d'un décalage dans le temps de ses objectifs de déficits.

Dans ses dernières prévisions, publiées en février, Bruxelles a dit prévoir un déficit public à 3,7% du PIB pour la France en 2013, amenant le gouvernement à abandonner officiellement, pour cause de conjoncture dégradée, l'objectif de 3% sur lequel il s'était engagé pour cette année.

Le fait que la France ait publié vendredi matin un déficit public à 4,8% pour 2012 contre 4,5% prévu lui complique un peu plus la tâche, même si le ministère des Finances a insisté sur le fait que l'ajustement "structurel" avait été l'an passé comme prévu de 1,2%.

Paris devrait se caler sur les 3,7% prévu cette année par l'exécutif européen, qui a ouvert la voie à un décalage d'un des objectifs de déficits à la condition que celui de 2014 se situe "nettement en-dessous" de 3,0% et qu'il n' y ait pas de relâchement sur la réduction du déficit structurel.

"Nous pensons que la France devra s'engager à réaliser des économies structurelles de près de 1% du PIB en 2014, après 1,6% du PIB en 2013", préviennent les économistes d'Exane BNP Paribas dans une récente note de recherche.

Les projections de la Commission européenne suggèrent, selon eux, que les économies structurelles doivent représenter jusqu'à 1,5 point de PIB sur 2014-2015 pour ramener le déficit structurel à 0,5 point de PIB à cet horizon "comme le gouvernement le prévoit actuellement", ajoutent-ils.

Dans ces conditions, ramener le déficit nominal de 3,7% à 3% du PIB l'an prochain "nécessiterait des économies additionnelles de près d'un point de PIB", ce qui fait que le gouvernement français devra annoncer une nouvelles vague d'économies de l'ordre de 20 milliards d'euros", avec pour conséquence une poursuite de stagnation l'année prochaine.

Exane BNP Paribas a ainsi revu à la baisse ses prévisions de croissance pour 2013 à -0,1% et pour 2014 à +0,3% contre +0,1% et +0,6% précédemment.

Edité par Yann Le Guernigou

par Marc Joanny