Le scandale lié à des dérivés financiers et les soupçons de corruption qui touchent Banca Monte dei Paschi di Siena prennent en effet leur source à l'époque où Mario Draghi dirigeait la Banque d'Italie, soit de 2006 à 2011.

Pour l'heure, la manière dont la Banque d'Italie défend son bilan contribue surtout à renforcer l'impression qu'elle a été par trop laxiste, lente à réagir et peu transparente.

Même si elle a exprimé les plus vives préoccupations vis-à-vis de Monte Paschi dès 2009, la Banque d'Italie a révélé qu'elle avait attendu fin 2011 pour convoquer la direction de la banque, les sanctions ne tombant qu'après que l'équipe dirigeante d'alors eut démissionné l'an passé.

Dans l'intervalle, les actionnaires de Monte Paschi ont été maintenus dans une ignorance totale des démarches et des observations de la banque centrale.

"La Banque d'Italie aurait pu faire beaucoup plus", a estimé Alessandro Penati, professeur de banque et de finance à l'université catholique de Milan et l'un des meilleurs experts des questions de réglementation.

"Elle en savait assez en 2010 pour justifier une attitude bien plus sévère à l'égard de la direction de la banque. Elle a le pouvoir de contester le bilan de la banque et de faire remplacer la direction, c'est ce qu'elle aurait dû faire".

"IMPUISSANTE"

Le parquet de Trani, une ville du sud de l'Italie, a ouvert une enquête sur la Banque d'Italie, accusée de manquement à ses devoirs de régulateur. Les magistrats locaux avaient déjà fait parler d'eux en s'intéressant à l'agence de notation Standard & Poor's.

Un tribunal romain a par ailleurs assigné à comparaître la banque centrale samedi au sujet de sa décision d'autoriser des prêts publics pour Monte Paschi.

Enfin, le parquet de Rome a lui ouvert une enquête sur une manipulation de marché présumée liée à l'affaire.

Les trois actions en justice sont à l'initiative d'associations de consommateurs.

Mario Borghezio, député européen représentant la Ligue du Nord italienne, a dit avoir soumis à la Commission européenne la question de savoir si Mario Draghi présentait toutes les qualités pour superviser les banques de la zone euro.

La BCE s'est abstenu de tout commentaire sur cette affaire, se bornant à dire qu'elle relevait des autorités nationales.

Il est reproché à Monte Paschi d'avoir surpayé Antonveneta en 2007, en l'occurrence neuf milliards d'euros, au risque de compromettre son équilibre financier et d'avoir procédé à des transactions de dérivés risquées de 2006 à 2009 pour maquiller ses comptes.

Les magistrats se demandent si des pots-de-vins ont été versés au moment de l'achat d'Antonveneta. Ils soupçonnent également une fraude qui aurait entaché les transactions sur dérivés, susceptibles de coûter à la banque 720 millions d'euros.

Mario Draghi s'était rendu à Milan lundi pour, dit-on, une réunion secrète avec le ministre de l'Economie Vittorio Grilli, lequel a eu maille à partir avec le Parlement lors d'une audition sur la déconfiture de Monte Paschi.

Au lendemain de ce déplacement, la Banque d'Italie publiait un document de sept pages censé montrer à quel point elle avait surveillé étroitement Monte Paschi. A quoi ses détracteurs rétorquent qu'être actif n'implique pas forcément d'être efficace.

"Le document est effectivement riche en précisions, chiffres et dates mais il semble avoir été rédigé par quelqu'un incapable d'en tirer les conséquences logiques", écrivait ainsi La Repubblica mercredi.

La banque centrale s'est révélée "impuissante" à surmonter les tentatives d'obstruction de la direction de la banque, poursuit le quotidien, plutôt habitué à défendre les institutions du pays, et particulièrement la Banque d'Italie.

"EN DOUCEUR"

Le rapport de la Banque d'Italie montre que celle-ci considérait, dès le second semestre 2009, la position de trésorerie de Monte Paschi comme "floue et potentiellement critique".

Dans les trois années qui suivirent, la banque centrale a multiplié les inspections, critiques et recommandations, à propos notamment de deux opérations sur dérivés obscures avec Deutsche bank et Nomura.

Le rapport montre que la banque pour l'essentiel n'en a eu cure mais la Banque d'Italie a malgré tout attendu novembre 2011 pour convoquer la direction, qui fait à présent l'objet de poursuites au pénal. Elle a ouvert une procédure de sanctions en mai 2012, alors que les dirigeants avaient déjà été remerciés.

Les actionnaires n'ont pas eu la moindre connaissance de toutes ces démarches.

"La Banque d'Italie a essayé de faire les choses en douceur pour des motifs politiques et parce qu'elle était convaincue que trop de publicité effraierait le marché", a expliqué Alessandro Penati. "C'est sans doute vrai mais cela aurait également résolu le problème totalement il y a deux ans".

Quant aux transactions sur dérivés, un rapport de novembre 2010 de la Banque d'Italie mentionne "un profil de risque qui n'est pas convenablement contrôlé et qui n'a pas été communiqué" au conseil d'administration de Monte Paschi. Mais ce n'est qu'un an plus tard qu'elle décida de mener un audit en profondeur.

Pour autant, peu d'hommes politiques italiens se risqueraient à s'attaquer à Mario Draghi, vu comme l'homme qui a évité à l'Italie la faillite par ses actions à la tête de la BCE. Mais si 2012 a été l'année du triomphe pour lui, 2013 risque bien d'être gâtée par Monte Paschi.

Avec Huw Jones à Londres, Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Marc Joanny

par Gavin Jones