par Patrick M. Fitzgibbons

Bank of America (BofA) est considérée comme le repreneur le plus probable, selon plusieurs analystes. Elle et Lehman se sont refusé à tout commentaire.

"Je pense que Bank of America va remporter la mise pour Lehman Brothers. Les deux sociétés vont naturellement bien ensemble", écrit Richard Bove, analyste chez Ladenburg Thalmann.

La nouvelle d'un sauvetage organisé, à défaut de faire rebondir Lehman en Bourse, a soulagé les marchés boursiers dès jeudi soir à Wall Street et vendredi en Europe et en Asie.

A la mi-journée en Europe, l'action Lehman rebondissait de 8%. Elle a dégringolé de 41,79% à 4,22 dollars jeudi et chutait encore de 25% dans des échanges d'après-Bourse, allant jusqu'à se négocier à 3,20 dollars.

La valeur a perdu trois quarts de sa valeur depuis lundi et plus de 90% depuis novembre dernier.

De sources proches du dossier, on indique que la direction de la banque et les autorités américaines mènent d'intenses discussions visant à étudier toutes les possibilités pour Lehman, y compris une vente de la totalité du capital. La banque serait toutefois opposée à l'intervention du gouvernement.

Le Trésor américain et la Réserve fédérale participent aux négociations, qui pourraient se conclure ce week-end.

Les banques britanniques Barclays et HSBC ont également été citées comme intéressées, mais leurs dirigeants se sont montrés en retrait sur ce dossier ces dernières semaines.

Goldman Sachs non plus ne serait pas intéressé.

LE "GORILLE" RÉTICENT

Le directeur général de Lehman, Dick Fuld, 62 ans, très réticent à renoncer à l'indépendance du groupe, souhaiterait une cession partielle de l'entreprise plutôt que la totalité, dit-on de sources proches du dossier.

Surnommé "le gorille", Fuld, qui a commencé chez Lehman comme trader en 1969, a été longtemps considéré comme l'un des dirigeants de Wall Street les plus capables.

Il a connu les dissensions qui ont conduit à la vente de la société à Shearson/American Express en 1984. Il était à la tête de Lehman quand la banque d'affaires a été scindée du groupe, sous-évaluée et peu prisée, en 1994.

Les analystes de la Deutsche Bank soulignent toutefois dans une note que le soulagement lié à la clôture des incertitudes sur le dossier Lehman pourrait être de courte durée.

"Les investisseurs ne doivent pas oublier les hauts et les bas qui ont suivi le sauvetage de Bear Stearns. Depuis, le contexte économique s'est détérioré", écrivent les analystes de la banque vendredi matin.

Après le sauvetage de Bear Stearns par JPMorgan sous la houlette des pouvoirs publics en mars, les marchés s'étaient pris à penser que la crise du crédit allait prendre fin.

Avec la chute de jeudi, la capitalisation boursière de Lehman a fondu à 2,93 milliards de dollars. Elle vaut désormais moins que des petites banques comme Huntington Bancshares ou Raymond James Financial. Par comparaison, Goldman Sachs pèse 61,8 milliards de dollars en Bourse.

LES 25.000 EMPLOYÉS ATTENDENT

Au cours de l'année écoulée, Lehman Brothers, fondée en 1850 par trois frères allemands négociants en coton, a dû déprécier pour plusieurs milliards de dollars d'actifs, principalement des titres liés à la titrisation de crédits immobiliers, dont la valeur a chuté avec la crise des subprimes.

Par ailleurs, la banque a dû faire face ces derniers mois à des rumeurs de départ de clients et d'OPA à prix cassé.

Lehman a annoncé mercredi une perte de 3,9 milliards de dollars au troisième trimestre et publié son projet de levée de capitaux avec cession du contrôle de sa filiale de gestion d'actifs, huit jours plus tôt que prévu, après l'échec des négociations pour faire entrer la Korea Development Bank (KDB), un groupe public sud-coréen, dans son capital.

Le patron de la KDB a indiqué vendredi que les discussions restaient au point mort.

Alors que les 25.000 employés de Lehman, qui détiennent un tiers du capital du groupe, attendent des nouvelles de leur sort, les déboires de la banque d'affaires ont aussi des répercussions sur d'autres activités à Manhattan.

Ainsi, le Tonic Restaurant and Bar où Lehman organisait jusqu'à trois événements par semaines, a vu la manne se raréfier, explique son directeur des ventes Joseph Jacobino.

"Ils ont fortement réduit jusqu'à tout supprimer", a-t-il déclaré. "C'est une perte importante pour nous."