Lorsque son président Mario Draghi a dit la semaine passée que la BCE était prête à proposer à nouveau des prêts à long terme aux banques de la zone euro pour empêcher une montée des taux du marché monétaire, certains y ont vu une tentative déguisée - mais mal calculée - de faire reculer l'euro indirectement.

L'euro tutoyant son meilleur niveau en deux ans sur une base pondérée, les cambistes pensent que Mario Draghi persistera dans ses propos, sans trop d'effet sur la monnaie unique toutefois.

Une économie qui va mieux, l'engagement de la BCE pris l'an passé à l'égard de la monnaie unique et la décision le mois dernier de la Réserve fédérale de ne pas toucher à ses rachats d'actifs sont autant d'éléments de soutien de l'euro.

"La BCE n'apprécie ni la vigueur de l'euro ni la poussée des taux du marché et je pense qu'elle va hausser le ton", dit Jane Foley, stratège changes de Rabobank. "Cette année est différente des précédentes, on peut vraiment parler d'une résistance de l'euro".

La BCE a décidé d'imiter la Fed en juillet dernier en fournissant des indications préliminaires sur l'évolution future des taux ("forward guidance") pour freiner une hausse des taux du marché monétaire, déclarant que les taux d'intérêt resteraient bas pour un période prolongée.

Cette inflexion est apparue lorsque la perspective de voir la Fed dénouer progressivement sa politique de rachats d'actifs a précisément fait monter les taux monétaires.

Lorsque la Fed a observé le statu quo sur cette politique, les taux du marché monétaire de la zone euro sont tombés à des plus bas de six mois. Quelques jours après, Mario Draghi laissait entendre que la BCE était disposée à prêter encore abondamment et toujours à des conditions très favorables.

Certains analystes en ont déduit que le président de la BCE avait l'euro à l'esprit en tenant ces propos parce que la décision de la Fed avait entraîné la devise européenne à un pic de huit mois contre le dollar.

"Draghi ne fait jamais référence directement à l'euro... Ce ne sont que des allusions indirectes que le marché interprète comme une préoccupation dissimulée, latente, que l'euro monte trop et soit trop cher", commente Neil Jones (Mizuho).

L'euro a atteint 1,3569 dollar, lorsque la Fed a observé le statu quo monétaire le 18 septembre. La fermeture partielle des administrations fédérales américaines, après l'impasse budgétaire au Congrès, l'a porté à 1,3589 dollar.

Une monnaie forte et des taux monétaires en hausse entraînent de facto un resserrement des conditions de financement. Des économistes interrogés par Reuters pensent que, dans ce contexte, la BCE mènera une nouvelle opération de refinancement à long terme (LTRO) en fin d'année ou au début 2014. (voir )

Elle avait prêté plus de 1.000 milliards d'euros aux banques par le biais de deux LTRO, en décembre 2011 et février 2012, une somme pour l'essentiel remboursée.

FAIRE COÏNCIDER LTRO ET DÉNOUEMENT

Dans les faits, la politique de la Fed complique la tâche de la BCE. Son statu quo a à la fois aidé et ennuyé son homologue européenne en faisant baisser les taux monétaires tout en dopant l'euro.

Dès que les investisseurs penseront que le dénouement de la politique de rachats de la Fed sera à nouveau d'actualité, l'euro baissera - les investisseurs achetant du dollar - alors que les taux monétaires de la zone euro eux monteront, même si la politique de la BCE reste ultra-accommodante.

Pour Salman Ahmed, stratège obligataire de Lombard Odier, faire du LTRO un instrument de politique monétaire plutôt que de lutte contre la crise est une erreur.

"La sensibilité du marché monétaire à ces mesures de politique monétaire tend à faiblir lorsque les taux sont à ce point bas. Le premier LTRO a eu un impact énorme parce que les taux étaient très élevés et il visait spécifiquement le secteur bancaire", explique-t-il.

Pour que le prochain LTRO de la BCE ait un effet maximal, à la fois sur l'euro et sur les taux monétaires de la zone euro, il faudrait qu'il coïncide avec le moment où la Fed dénouera ses rachats d'actifs, de l'avis de certains analystes.

De cette manière, le LTRO pourrait freiner toute hausse des taux monétaires qui serait motivée par la décision de la Fed, laquelle pousserait l'euro à la baisse en faisant monter le dollar.

"La BCE veut amener le marché à sentir qu'elle a quelque chose de prêt face à toute hausse des taux monétaires, surtout lorsqu'on parlera de plus en plus de dénouement (de la Fed) alors que l'on aborde le quatrième trimestre", dit Benjamin Schröder, stratège de la Commerzbank.

Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Marc Joanny

par Jessica Mortimer et Ana Nicolaci da Costa