L’Irak post-Daesh

Le déclin de l’Etat-islamique, qui contrôlait une grande partie du nord-ouest irakien n’a que peu solidifié le pouvoir en place. Depuis la fin de l’année 2015, l’Organisation terroriste a essuyé défaite sur défaite, perdant tour à tour ses bastions à Tikrit, Fallouja et Mossoul, la deuxième ville du pays, en 2017. Ce revers a été possible grâce à l’offensive conjointe de groupes antagonistes, celles des forces gouvernementales irakiennes appuyées par une coalition sous commandement américain, des milices chiites soutenues par l’Iran ou encore des combattants kurdes pour ne citer que les principales. 

La défaite de Daesh a ainsi permis le retour des forces étrangères en Irak, puisque le gouvernement fut incapable de défendre seul sa souveraineté, mais aussi la mainmise de Téhéran sur son voisin grâce à son implication pour structurer les milices chiites. De manière prosaïque, l’Irak post-Daesh est un Etat sous tutelle américano-iranienne, c’est le point d’orgue de la crise actuelle.

Cette ingérence venant de l’extérieure a par ailleurs secoué l’Irak fin 2019. De vastes mouvements de contestation mobilisant des milliers d’irakiens la rejettent, dénonçant la corruption qui gangrène le pouvoir en place. Ces manifestations ont été réprimées dans le sang. Les chiffres sont éloquents, on dénombre des centaines de morts entre octobre et novembre 2019. L’Irak s’enlise ainsi profondément dans une nouvelle crise politique. La démission du Premier Ministre irakien, Adel Abdel-Mehdi, mais surtout l’incapacité de lui trouver un successeur faisant l’unanimité, en est le symbole.

L’escalade des tensions, acte par acte

  • Acte I : Menace des intérêts américains en Irak [27 décembre 2019]

Si les attaques de nature sporadiques visant des cibles américaines en Irak existaient déjà et tendaient à se multiplier, celle du 27 décembre contre une base militaire à Kirkouk prend la forme d’un tournant. En effet, l’attaque à la roquette fait une victime américaine, un sous-traitant qui opérait au sein de la coalition anti-djihadiste. Les factions chiites pro-Iran sont montrées du doigt par Washington.

  • Acte II : Riposte US visant le Kataeb Hezbollah (phalanges du Hezbollah) [29 décembre 2019]

Des unités de stockage d’armement et des quartiers généraux du Kataeb Hezbollah, factions chiites pro-Iran ont été visés par des raids aériens, faisant de nombreuses victimes. Le bilan serait de 25 morts et 51 blessés. Les rouages de l’escalade des tensions entre Washington et Téhéran s’amorcent. La position de la Maison Blanche demeure de se montrer ferme en cas de menace sur ses intérêts au Moyen-Orient tandis que l’Iran dénonce une "violation flagrante de la souveraineté" de l’Irak.

  • Acte III : Attaque de l’ambassade américaine à Bagdad [31 décembre]

Plusieurs milliers de manifestants sympathisants à la cause iranienne entrent dans la zone verte de Bagdad, essaient de pénétrer l’ambassade américaine et mettent le feu à l’enceinte extérieure. La tension monte encore d’un cran et n’est pas sans rappeler les derniers évènements similaires, à Téhéran en 1979 et à Benghazi en 2012, véritables traumatismes pour les américains. Le Premier Ministre lance un appel au calme tandis que l’armée américaine envoie des renforts pour sécuriser l’ambassade des Etats-Unis. Trump menace l’Iran, affirmant la tenir responsable de cette attaque.

  • Acte IV : Frappe US visant des hauts-gradés iraniens [3 janvier]

Les forces américaines visent un convoi de véhicules dans l’enceinte de l’aéroport de Bagdad et tuent à travers un drone Reaper, le général Quassem Soleimani, chef des forces Al-Qods, bras armé des Gardiens de la Révolution opérant à l’étranger. Washington s’attaque à un symbole de l’Iran, Soleimani étant considéré comme le numéro deux de la République islamique d’Iran après Rohani. Au total, la frappe fait dix victimes, dont cinq haut-gradés iraniens ainsi que des hauts-dignitaires irakiens pro-Iran. 

L’escalade se poursuit à un rythme effréné entre les nombreux appels à la vengeance de la part des autorités iraniennes, la condamnation du gouvernement irakien de cette offensive et l’envoi de 3500 soldats supplémentaires au Moyen-Orient.

  • Acte V : Les premières conséquences [5 janvier]

Après le choc et le franchissement de la ligne rouge, l’heure est la crispation. En atteste les menaces américaines et iraniennes, dont les dirigeants promettent des représailles voire une déflagration dans la région. L’Iran s’affranchit de ses obligations sur l’accord du nucléaire et annonce continuer l’enrichissement nucléaire "sans aucune limite et en fonction de ses besoins techniques".

Le gouvernement irakien, de son côté, fait appel au conseil de Sécurité de l’ONU pour demander une condamnation des Etats-Unis. Le Parlement irakien exige par ailleurs l’expulsion des forces étrangères en Irak. De cette manière, l’Iran, qui paradoxalement agite la menace d’une réponse armée, cherche avant tout à expulser les Etats-Unis d’Irak, un vide qui pourrait être comblé par l’influence de Téhéran.

  • Acte VI : Riposte iranienne visant des bases américaines en Irak et premiers signes de désescalade [8 janvier]

Les autorités irakiennes ont déclaré que 22 missiles balistiques avaient ciblé les emplacements des forces de la coalition en Irak, dont la base aérienne d’Ain Al-Asad et celle d’Erbil. Ces mêmes autorités ont déclaré avoir été informées des frappes imminentes, permettant dans la foulée aux forces de la coalition de se préparer en amont de celles-ci. Le bilan humain est ainsi nul, les représailles iraniennes ne faisant aucune victime. Ces frappes notifiées sont paradoxalement interprétées comme un geste d'apaisement venant de l'Iran, qui, tout en gardant la face, cherche à mettre la pression sur les Etats-Unis pour chercher une voie de résolution diplomatique. Trump, lors d'une allocution depuis la Maison Blanche, a donc joué la carte de l'apaisement en déclarant que "Les Etats-Unis sont prêts à accueillir la paix". 

Dans ce contexte, si les tensions sont toujours exacerbées au Moyen-Orient et que la situation politique en Irak ne s'est en rien améliorée, un équilibre précaire a été trouvé. Téhéran a gonflé ses muscles pour convaincre et calmer l'opinion publique, les Etats-Unis neutralisent des hauts-gradés pro-Iran, dont Soleimani qui constituaient une menace pour leurs intérêts et les pays du Golfe se détendent du fait de la désescalade. 

L’impact sur les marchés pétroliers

L’escalade des tensions entre l’Iran et les Etats-Unis a naturellement soutenu les cours pétroliers. Toutefois, il demeure difficile pour les marchés de jauger l’impact des récentes frictions sur l’approvisionnement de pétrole (à lire ici : Or et Pétrole, comment réagir face aux tensions géopolitiques).

L’Iran a effectivement des capacités de nuisances sur ce plan, à travers une mobilisation de ses proxy, notamment au Yémen où les rebelles houthis ont déclaré avoir listé un certain nombre de sites sensibles en Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis comme cibles potentielles. Le détroit d’Ormuz, zone stratégique ou transite près de 20% de la consommation mondiale, constitue aussi un moyen d’action pour Téhéran. Une politique de harcèlement visant à réduire à néant la sécurité de ce couloir maritime ouvrirait une période d’incertitude sur les marchés pétroliers et ce, sans même aborder la possibilité d’une escalade militaire.