* Paris dit avoir confiance en l'Algérie dans la crise des otages

* Une pondération qui tranche avec les inquiétudes britanniques

* L'intervention au Mali dans la balance

PARIS, 18 janvier (Reuters) - La retenue de la France envers Alger dans la crise des otages de Tiguentourine, en contraste avec les critiques des Etats-Unis, du Japon et du Royaume-Uni, traduit des impératifs diplomatiques et stratégiques dans le processus de pacification engagé avec l'ex-puissance coloniale, jugent des analystes.

L'intervention militaire de la France au Mali, où Paris se retrouve singulièrement seul, nécessite en outre le soutien déterminant de l'Algérie (contrôle de la frontière, espace aérien...), font-ils valoir.

Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a concédé vendredi que les autorités françaises n'avaient pas été averties de l'opération lancée la veille à In Amenas par les forces de sécurité algériennes au prix de plusieurs victimes, dont le nombre exact reste à établir.

Mais il a réaffirmé la pleine "confiance" de la France dans les autorités algériennes, qui ont assuré vendredi que leur décision avait permis de sauver des "centaines d'otages" et d'éviter un désastre sur les installations du site gazier.

Alger a toujours eu pour ligne le refus de toute négociation avec les djihadistes.

Durant "la décennie noire", de 1991 à 2002, les autorités algériennes ont été engagées dans une lutte sanglante contre les groupes islamistes qui a fait entre 60.000 et 150.000 morts.

"Compte tenu des informations dont elles disposaient, les autorités algériennes ont estimé qu'elles n'avaient pas d'autres choix que de donner l'assaut", souligne-t-on au Quai d'Orsay.

Une trentaines d'étrangers étaient toutefois encore otages ou portés manquants sur le site, où les forces algériennes poursuivaient leur intervention. Pour Roland Jacquard, président de l'Observatoire international du terrorisme, les preneurs d'otages ont "très bien monté" leur opération "parce qu'ils savaient que ça allait multiplier les problèmes".

"LA CRÉDIBILITÉ DE L'ALGÉRIE"

Le Premier ministre britannique, David Cameron, a fait part vendredi en termes diplomatiques de sa "déception" face à l'initiative des autorités algériennes et s'est inquiété d'une situation "mouvante et dangereuse".

Les djihadistes - dont plusieurs ont été tués par la sécurité algérienne - qui se trouveraient toujours sur le site avec un nombre indéterminé d'otages étrangers ont proposé vendredi d'échanger les ressortissants américains contre deux activistes islamistes emprisonnés aux Etats-Unis.

L'administration américaine, qui avait demandé des "éclaircissements" à Alger, a rejeté toute tractation avec les ravisseurs.

"Les autorités algériennes vont subir des pressions de la part de gros clients économiques comme le Japon, les Etats-Unis, la Norvège, etc., qui vont vouloir préserver la vie de leurs otages", explique Roland Jacquard.

"Il en va de la crédibilité de l'Algérie. D'après ce que je sais, il y a des discussions assez fortes au sein du pouvoir algérien entre une branche du renseignement militaire qui n'est pas du tout pour la négociation et d'autres qui sont plus politiques", affirme-t-il.

Le ministre français de l'Intérieur, Manuel Valls, a invité "à la prudence quant aux commentaires et à la critique" envers Alger, dont les relations jadis orageuses avec l'ancienne puissance coloniale sont en voie de normalisation.

"La France a le sentiment, depuis le voyage de François Hollande en Algérie, qu'elle a réussi à commencer un processus de réchauffement avec Alger et qu'il est donc important de ne pas remettre en cause ce processus par des déclarations imprudentes et inappropriées, même si elles correspondent à la réalité", explique Dominique Moïsi, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

"RAISON D'ETAT"

Pour Denis Bauchard, ancien ambassadeur et conseiller special à l'Ifri (Ifri), c'est vraisemblablement à l'occasion de sa visite d'Etat de décembre que François Hollande a convaincu Abdelaziz Bouteflika de s'impliquer davantage "devant la montée en puissance des islamistes au Sahel".

L'armée algérienne, juge-t-il, n'était sans doute pas enthousiaste à l'idée d'un feu vert donné à la France de survoler son territoire, qui a certainement était une initiative personnelle du président algérien.

"La prise d'otages d'In Amenas a représenté un camouflet pour l'armée et les services de sécurité algériens, et cela peut renforcer Bouteflika, notamment dans le contexte des débats de politique intérieure sur l'opportunité d'une coopération avec la France dans son intervention au Mali", relève-t-il.

Et la révélation, de la part du Quai d'Orsay, de l'autorisation de survol du territoire algérien a été à cet égard "une bévue monumentale, parce que ça a mis Alger dans une position extrêmement difficile", souligne Pierre Servent, consultant pour les questions militaires.

Au-delà de la nouvelle page diplomatique qui s'écrit avec Alger, "la France se dit que, par rapport à son engagement au Mali, elle a vraiment besoin de l'Algérie, quitte à fermer les yeux sur le sort réservé aux otages", note Dominique Moïsi.

"C'est vrai qu'il y a une spécificité de la réaction française et cette spécificité est le produit de la rencontre entre un rapprochement sur le passé et des intérêts communs pour le présent et le futur", dit-il.

"Pour Paris, la raison d'Etat l'a emporté sur toute autre considération". (Sophie Louet avec Marc Joanny, Emmanuel Jarry et Marion Douet)