par Samia Nakhoul, Ali Sawafta et Matt Spetalnick

16 décembre (Reuters) - Des hauts fonctionnaires américains se sont rendus en Cisjordanie ces dernières semaines pour rencontrer Mahmoud Abbas dans l'espoir que ce dernier, spectateur de la guerre entre Israël et le Hamas, réforme l'Autorité palestinienne afin qu'elle puisse gérer la bande de Gaza à la fin du conflit.

Architecte des accords de paix d'Oslo de 1993 avec Israël, qui ont fait naître l'espoir d'un État palestinien, le dirigeant de 88 ans a vu sa légitimité ébranlée par la construction de colonies israéliennes en Cisjordanie occupée. De nombreux Palestiniens considèrent désormais son administration comme corrompue, antidémocratique et déconnectée de la réalité.

A la suite des attaques du Hamas contre Israël, le 7 octobre, le président américain Joe Biden a toutefois clairement indiqué qu'il souhaitait qu'une Autorité palestinienne remaniée prenne en charge la bande de Gaza une fois le conflit terminé, en unifiant son administration avec celle de la Cisjordanie.

Jake Sullivan, conseiller de Joe Biden en matière de sécurité nationale, a rencontré Mahmoud Abbas vendredi, devenant ainsi le dernier haut fonctionnaire américain en date à l'exhorter à un changement rapide.

Le secrétaire d'État Antony Blinken a déclaré à la presse, après avoir rencontré le dirigeant palestinien fin novembre, qu'ils avaient discuté de la nécessité d'entreprendre des réformes pour lutter contre la corruption, renforcer la société civile et soutenir une presse libre.

Trois Palestiniens et un haut fonctionnaire régional au fait des conversations ont déclaré que les propositions de Washington à huis clos impliqueraient également que Mahmoud Abbas cède une partie de son contrôle sur l'Autorité.

Mahmoud Abbas, qui dirige l'Autorité palestinienne depuis 2005, pourrait selon ces propositions nommer un adjoint, confier des pouvoirs exécutifs plus étendus à son premier ministre et introduire de nouvelles personnalités à la tête de l'organisation, ont indiqué les sources palestiniennes et régionales.

"LE PROBLÈME, C'EST LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT ISRAÉLIEN"

La Maison Blanche n'a pas répondu aux questions de l'agence Reuters. Le département d'État a déclaré que le choix des dirigeants était une question qui relevait du peuple palestinien et n'a pas donné de précisions sur les mesures nécessaires pour remanier l'Autorité.

Dans un entretien accordé à Reuters à Ramallah, Mahmoud Abbas s'est dit prêt à réorganiser l'Autorité palestinienne avec de nouveaux dirigeants et à organiser des élections - suspendues depuis que le Hamas a remporté le dernier scrutin en 2006 et a évincé l'Autorité palestinienne de Gaza -, à condition d'un accord international contraignant conduisant à la création d'un État palestinien.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et sa coalition d'extrême droite ont refusé cette éventualité.

"Le problème n'est pas de changer de politiciens (palestiniens) et de former un nouveau gouvernement, le problème, c'est la politique du gouvernement israélien", a déclaré Mahmoud Abbas, interrogé sur les propositions américaines.

Même si Mahmoud Abbas accepte que son règne touche à sa fin, lui et d'autres dirigeants palestiniens estiment que les États-Unis, principal allié stratégique d'Israël, doivent faire pression sur le gouvernement de Netanyahu pour qu'il autorise la création d'un État palestinien englobant Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est.

Selon une source à Washington connaissant bien le dossier, Mahmoud Abbas a exprimé en privé son ouverture à certaines propositions américaines de réforme de l'Autorité palestinienne, notamment l'apport de "sang neuf" et l'octroi de nouveaux pouvoirs exécutifs au bureau du Premier ministre.

SE PRÉPARER AU "JOUR D'APRÈS"

Alors que les responsables américains insistent sur le fait qu'ils n'ont proposé aucun nom à Mahmoud Abbas, des sources régionales et des diplomates affirment que certains à Washington et en Israël favorisent Hussein al-Sheikh - un haut responsable de l'OLP - comme possible adjoint et futur successeur.

Washington a lancé un appel à la Jordanie, à l'Égypte et aux États du Golfe - qui ont une certaine influence sur l'Autorité palestinienne - pour persuader Mahmoud Abbas de poursuivre d'urgence les réformes institutionnelles afin de se préparer au "jour d'après", ont déclaré quatre sources américaines, dont deux responsables de l'administration.

Les responsables de Jordanie, d'Égypte, du Qatar et des Émirats arabes unis n'ont pas répondu immédiatement aux demandes de commentaires.

Mahmoud Abbas s'est engagé à plusieurs reprises à réformer son administration au cours des dernières années, sans grand effet. Les hauts fonctionnaires américains continueront donc à faire pression en attendant de voir s'il ira jusqu'au bout cette fois-ci, ont déclaré les sources américaines.

Les responsables américains reconnaissent toutefois que Mahmoud Abbas reste pour l'instant le seul dirigeant palestinien réaliste, bien qu'il soit impopulaire parmi les Palestiniens et qu'il suscite la méfiance d'Israël, qui a dénoncé son absence de condamnation de l'attaque du 7 octobre.

Selon un haut fonctionnaire de l'administration américaine, qui a demandé à ne pas être identifié en raison de la nature confidentielle des discussions, les collaborateurs de Joe Biden ont discrètement exhorté les dirigeants israéliens à abandonner leur résistance à l'idée que l'Autorité palestinienne, une fois remaniée, puisse jouer un rôle de premier plan dans la bande de Gaza après le conflit. (Reportages complémentaires de Humeyra Pamuk et Matt Spetalnick à Washington, Nidal al-Mughrabi et Aidan Lewis au Caire, James Mackenzie et Dan Williams à Jérusalem ; Ali Sawafta à Ramallah ; rédigé par Samia Nakhoul, Angus McDowall et Daniel Flynn, version française Benjamin Mallet)