Paris (awp/afp) - Parties de chasse, tournois de golf et "carnets du lait": au procès en appel de la banque UBS, la cour s'est penchée lundi sur les pratiques commerciales de sa filiale française entre 2004 et 2012, au coeur des soupçons de démarchage bancaire illégal.

Condamné en première instance à 3,7 milliards d'euros d'amende pour cette infraction ainsi que pour blanchiment de fraude fiscale, le géant bancaire est rejugé au côté de sa filiale française et de six anciens cadres, dont cinq avaient été aussi reconnus coupables en 2019.

Depuis le 8 mars, la cour d'appel de Paris se replonge dans les années 2000, au moment où le poids lourds mondial de la gestion de fortune venait d'ouvrir une filiale en France, apprivoisant au passage, le vocabulaire technique de la banque.

A l'époque, les commerciaux ou "chargés d'affaires (CA)" partent à la conquête de "prospects", des personnes fortunées, et de nombreux évènements promotionnels - "events" - sont organisés.

"Mon quotidien, c'était de faire tourner 150 personnes sur le terrain, développer ce business. (...) C'est ce qui nous prenait énormément de temps", lance d'emblée à la barre l'ex-numéro 2 d'UBS en France, Patrick de Fayet.

"Ces évènements, qui sont aujourd'hui montés en épingle, sont pour moi une tête d'épingle!", dit-il d'une voix assurée.

Prolixe, buvant régulièrement sous son masque dans la salle d'audience étouffante, il explique que la banque avait alors "peu de chance" de récupérer le "old money" - les fonds déjà placés chez des concurrents. Elle visait donc des Français traversant un "big bang patrimonial: vous vendez votre boîte, vous héritez, vous gagnez au loto ... c'était ça notre business model".

"bricolage"

Lors des "events" - soirées à l'opéra, tournois de golf et parties de chasse - des "CA" français sont présents, mais aussi des "CA" suisses: selon l'accusation, ils ont démarché de riches Français afin qu'ils placent leur argent en Suisse - alors qu'UBS AG, la maison mère, n'avait pas de licence pour le faire.

A-t-il assisté à ces faits? interroge le magistrat Hervé Robert.

"Non", assure M. de Fayet, qui à l'issue de l'instruction a engagé, en vain, une procédure de "plaider coupable" pour éviter un procès. "Ce sont des évènements promotionnels pour installer la marque. Le démarchage, je ne l'ai jamais vu et on ne me l'a jamais remonté", poursuit-il, estimant que les Suisses venaient seulement voir ceux qui étaient déjà leurs clients.

La présence récurrente des commerciaux suisses a cependant suscité des remous dans les équipes françaises, selon les investigations, débutées en 2011 par un signalement de l'autorité de contrôle prudentiel (ACP) puis notamment nourries par des témoignages d'anciens salariés.

Pour l'accusation, les mouvements transfrontaliers ont été maquillés par une comptabilité parallèle, les "carnets du lait". Un système "qui fait un peu bricolage" avec des "fichiers Excel, des notes manuscrites", dans "un établissement bancaire extrêmement structuré", remarque le magistrat.

Il s'agissait d'un "brouillon de travail" pour alimenter le système informatique servant au calcul des bonus des commerciaux, affirme M. de Fayet, à l'origine de ce nom, inspiré des "producteurs de lait" qui apportaient leur marchandises à la "laiterie", dit-il.

"accident de chasse"

L'ancien chef du bureau d'UBS à Lille, Hervé d'Halluin, comparaît quant à lui pour avoir participé à l'organisation de deux parties de chasse en 2004 et 2005, financées par UBS AG.

Il affirme avoir initié l'"event" avec un commercial suisse afin de se rapprocher "de manière habile" du propriétaire du domaine, un "prospect", même si cette idée n'était pas "très populaire" au sein d'UBS France à cause du "risque d'accident de chasse".

Pourtant, cela s'est fait "au vu et au su de ma hiérarchie, la présence de +CA+ suisse était validée par les procédures, donc je ne vois pas à l'époque, ni même maintenant, de problème particulier", soutient-il.

Le président cite l'ancien dirigeant d'UBS France, qui a déclaré que "tout le monde" rapportait la présence de commerciaux helvètes dans l'Hexagone et que "si on leur payait des voyages, ça n'était pas pour rien évidemment". Il demande au prévenu de réagir.

"C'est pas un scoop de dire que des chargés d'affaires suisses étaient présents sur le territoire national", répond M. d'Halluin. "Étaient-ils en train de faire quelque chose d'illégal ? Peut-être, mais je n'en ai pas été témoin".

afp/rp