par Benjamin Mallet

FLAMANVILLE (Manche), 16 novembre (Reuters) - Pour accéder au c÷ur du réacteur nucléaire de type EPR en cours de construction à Flamanville dans la Manche, il faut suivre un dédale d'échafaudages, de tuyaux et de câbles, baisser régulièrement la tête pour éviter les obstacles, et prendre garde à ne pas entrer en collision avec des dizaines d'ouvriers croisés en chemin.

Le centre du bâtiment réacteur évoque une cathédrale, le bruit des perceuses en plus. C'est ici que devrait avoir lieu la première fission d'atomes d'uranium qui permettra à la centrale d'entrer en production, fin 2018.

Le conditionnel reste de rigueur, car l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) doit encore se prononcer dans quelques mois sur la capacité de la cuve du réacteur, une pièce maîtresse, à résister aux irradiations et aux pressions intenses que la réaction nucléaire lui fera subir.

Le gendarme du nucléaire français a en effet dévoilé en avril 2015 des anomalies dans l'acier de certaines zones du couvercle et du fond de cet équipement fabriqué par Areva et les a jugées suffisamment "sérieuses" pour obliger EDF, maître d'÷uvre du chantier et futur exploitant de la centrale, à superviser depuis des tests sur quelque 1.600 échantillons prélevés sur des pièces identiques.

Le paradoxe, c'est que l'EPR a déjà l'apparence extérieure d'une centrale en état de fonctionner, malgré un pic d'activité qui voit 4.300 personnes s'activer sur son site pour achever notamment les montages électromécaniques, réalisés à 80%.

EDF se refuse à évoquer le risque que l'ASN lui impose de remplacer la cuve, une opération dont le coût et les difficultés techniques pourraient signer la mort du projet et un échec retentissant pour une filière nucléaire française déjà mal en point, et le groupe prévoit de lancer une campagne d'essais d'ensemble de la centrale à la fin du premier trimestre 2017.

DES COÛTS RELEVÉS

"Ce scénario, pour EDF, n'existe pas", a déclaré mercredi à la presse Xavier Ursat, directeur exécutif en charge de l'ingénierie et des projets "Nouveau nucléaire" d'EDF, à l'occasion d'une visite du chantier de Flamanville.

"Cette cuve présente des caractéristiques physiques tout à fait compatibles avec l'exploitation prévue", a-t-il ajouté. "On est clairement dans un scénario qui ne nécessite pas de modification par rapport à ce qui a été prévu ou de délai supplémentaire."

EDF, qui prévoit de transmettre son dossier sur la cuve de Flamanville à l'ASN au cours des prochaines semaines et espère un feu vert de l'autorité au premier semestre 2017, a en outre confirmé mercredi le coût de construction de l'EPR, relevé à 10,5 milliards d'euros en septembre 2015.

Estimé à trois milliards d'euros lors de l'annonce du projet en 2004, l'EPR de Flamanville devait initialement entrer en service en 2012, mais des difficultés à répétition sur le chantier et dans la fourniture de certains équipements ont contraint à de multiples reprises EDF à reporter cette date et à revoir à la hausse le coût du projet.

Les consignes de sécurité sont omniprésentes sur le chantier, invitant par exemple le visiteur à s'assurer qu'il n'a rien fait tomber dans l'enceinte du bâtiment des combustibles, le risque étant que de simples particules ou de petits objets endommagent les équipements dans leur phase d'exploitation.

Ce mercredi, des inspecteurs de l'ASN sont sur le site pour vérifier l'installation des mécanismes de commande des "grappes", ces pièces qui permettront de contrôler la réaction nucléaire dans le c÷ur du réacteur.

DES INSPECTIONS DE L'ASN

Au cours des trois dernières semaines, l'autorité a procédé à trois inspections.

Dans le bâtiment réacteur, déjà, il a fallu en 2012 remplacer 45 "consoles", des boîtes métalliques sur lesquelles prennent appui un pont de manutention installé au-dessus de la cuve, après la détection de défauts sur plusieurs d'entre elles.

Plus loin, au bord de la Manche, EDF a été contraint en 2008 de tracer une nouvelle trajectoire pour le tunnel d'évacuation en mer des eaux de refroidissement de la centrale, et la dynamite utilisée pour le premier ouvrage, depuis rebouché, a été abandonnée au profit d'un tunnelier.

Trois autres EPR sont en construction dans le monde: un en Finlande construit par Areva, qui connaît lui aussi d'importants retards et surcoûts; et deux en Chine dont un au moins devrait être le premier du genre à entrer en service, en 2017.

Après des mois de négociations tendues, la Grande-Bretagne, la France et la Chine ont signé en septembre le contrat de construction par EDF et le chinois CGN de deux EPR à Hinkley Point, dans le sud-ouest de l'Angleterre, un projet de 18 milliards de livres (21 milliards d'euros environ).

Xavier Ursat a en outre confirmé mercredi l'intention d'EDF de déposer d'ici fin 2016 une offre non engageante pour construire six EPR en Inde. (Edité par Matthieu Protard)

Valeurs citées dans l'article : Areva, E.D.F., Siemens AG