par Gilles Guillaume et Thierry Lévêque

Le constructeur automobile, qui a mis à pied la semaine dernière trois de ses cadres soupçonnés d'avoir transmis à l'extérieur des informations sur le programme véhicules électriques, a ajouté que le procureur pouvait désormais confier aux services compétents le soin de réaliser les investigations nécessaires.

"L'entreprise a porté plainte contre X ce jour pour des faits constitutifs d'espionnage industriel, de corruption, d'abus de confiance, de vol et recel, commis en bande organisée", a déclaré Renault dans un communiqué.

Le groupe a reçu mardi les trois cadres, dont l'un est membre du comité de direction, en entretien préalable au licenciement pour faute lourde. Les personnes visées contestent catégoriquement toute malversation et expliquent qu'on ne leur a pas expliqué précisément ce qui leur était reproché.

Le week-end dernier, Patrick Pélata, numéro deux de Renault, avait déclaré que le constructeur était victime d'une filière internationale organisée mais qu'aucune "pépite technologique" sur les futures voitures électriques n'avait pu filtrer.

Maintenant qu'il est saisi, le procureur de Paris, magistrat statutairement lié au pouvoir politique en France, peut soit ouvrir une enquête préliminaire qu'il dirigerait, soit ouvrir une information qui serait confiée à un juge d'instruction indépendant.

Cette dernière technique, qui permet légalement des méthodes d'enquête plus coercitives et des investigations à l'étranger, a cependant été presque systématiquement abandonnée en matière financière ces dernières années, un choix critiqué.

L'enquête devrait être confiée à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), service de police judiciaire spécialisé dans ces questions.

Une source proche du gouvernement avait dit à Reuters la semaine dernière que la DCRI avait déjà travaillé sur ce dossier dans un cadre de renseignement pur, puisqu'elle est aussi un service secret placé sous les ordres du pouvoir exécutif.

TOUJOURS RIEN SUR UNE PISTE CHINOISE

Plusieurs médias écrivent qu'une enquête menée par une société de renseignement privée a permis de mettre au jour une tentative d'espionnage visant le programme électrique, un pari où Renault a investi avec son partenaire Nissan quatre milliards d'euros.

Selon le Canard enchaîné de mercredi, c'est à contrecoeur que Renault vient devant la justice car le groupe aurait préféré régler l'affaire en interne.

Les investigations auraient permis selon la presse de découvrir dans deux cas des comptes à l'étranger profitant à deux des cadres, approvisionnés à hauteur de 130.000 et 500.000 euros respectivement, qui proviendraient d'une société chinoise.

Il n'y a aucun commentaire officiel en France et la Chine a démenti toute implication.

"Ces accusations sont sans fondement et irresponsables. La partie chinoise ne peut les accepter", a déclaré mardi à la presse le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Hong Lei.

La ministre de l'Economie Christine Lagarde a déclaré jeudi sur France Inter qu'elle ne souhaitait pas commenter l'affaire puisque la justice allait être saisie.

"C'est une affaire qui concerne une société commerciale de droit privé, dans laquelle l'Etat a 15%, donc en qualité d'actionnaire ou de membre du conseil d'administration, on demandera évidemment des informations", a-t-elle dit.

Elle a refusé de nommer la Chine. "Je dis avec force qu'il n'y a aucune raison d'incriminer tel ou tel pays, ou telle filière d'espionnage industriel tant qu'on n'a pas les éléments de fait pour prouver quoi que ce soit", a-t-elle expliqué.

Elle a ajouté envisager "des moyens législatifs pour mettre les sociétés en mesure de se défendre et de combattre l'espionnage de cette nature".

Avec Helen Massy-Beresford, édité par Jean-Michel Bélot