AIX-EN-PROVENCE (awp/afp) - Contenir le déficit au risque de freiner la croissance, ou le laisser filer malgré les conséquences pour les finances publiques: aux rencontres d'Aix-en-Provence, la question divise les économistes, également partagés sur les annonces budgétaires du gouvernement.

Des efforts, oui, mais à quel prix? "C'est une question récurrente, et compliquée", concède Alain Trannoy, directeur de recherches à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)... qui se dit toutefois "sceptique" vis-à-vis de la stratégie choisie par Matignon.

"Il n'est pas question de dépenser à tout va, il faut être sérieux. Mais faire la réduction des dépenses au détriment des mesures censées redonner de l'attractivité au pays, ça risque d'être contre-productif", ajoute ce spécialiste des finances publiques.

Dans son discours de politique générale, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé des mesures d'économies et le report de plusieurs réformes fiscales promises par l'exécutif, afin de contenir le déficit public à 3% du produit intérieur brut (PIB), en 2017 comme en 2018.

En cause: un risque de dérapage mis en lumière par un audit de la Cour des comptes, qui évalue à 3,2% le déficit qui pourrait être atteint cette année, en raison notamment des sous-budgétisations héritées du gouvernement précédent.

"Tenir la barre des 3% est important sur le plan symbolique", juge Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes et organisateur des rencontres économiques d'Aix. "Atteindre cet objectif n'était pas très difficile cette année. Il fallait donc le faire".

Un avis partagé par Patrick Artus, chef économiste chez Natixis, qui met en garde contre les dangers d'une crise de la dette. "On commence à voir les taux d'intérêt remonter. Dans cette perspective, il était important de ne pas laisser filer le déficit", assure-t-il.

- "Manque de cohérence" -

Dans la cité provençale, nombre d'économistes jugent cependant avec sévérité les reports de baisses d'impôts validés par Matignon. "La priorité, c'était de provoquer un choc fiscal pour stimuler la croissance. Il ne fallait pas différer ces réformes", estime ainsi Philippe Aghion.

L'économiste, proche d'Emmanuel Macron, assure ressentir une forme de "malaise" face à des décisions perçues comme des "renoncements". "Il y avait une cohérence dans le programme, il n'y en a plus. Les 3% sont importants, mais s'y attacher coûte que coûte est ridicule", soupire-t-il.

En 2015, un rapport du Fonds monétaire international (FMI) avait souligné "l'incohérence" de cette règle chiffrée, jugée contre-productive dans le cas des pays se débattant avec une faible croissance (moins de 2%) et une inflation proche de zéro.

"C'est d'autant plus vrai quand les taux d'intérêts sont faibles, ce qui est encore le cas aujourd'hui", souligne Alain Trannoy, hostile notamment au report de la transformation du CICE en baisses de charge, décidé en raison de son coût astronomique lors de l'année de transition.

"Quoiqu'il arrive, cette réforme nécessitera de s'endetter. Alors autant le faire maintenant plutôt que demain, où les taux d'intérêts seront plus importants", juge l'économiste, qui appelle à faire preuve de "pragmatisme" sur la question de la dette publique.

La réduction de la dépense publique annoncée par Edouard Philippe, estimée à 20 milliards d'euros l'an prochain, pourrait-elle par ailleurs compromettre la reprise, en freinant l'investissement et la consommation? Plusieurs élus s'en sont émus après les annonces du Premier ministre.

"En réalité, les travaux économiques montrent que les effets des baisses de dépenses dépendent de la manière dont ces dernières sont mises en oeuvre", assure Patrick Artus. "Or dans ce qui est proposé aujourd'hui, les secteurs stratégiques comme l'éducation ne sont pas touchés", ajoute-t-il.

Selon une étude publiée jeudi par le Conseil d'analyse économique (CAE), la réduction des dépenses publiques peut avoir "un impact négatif sur l'activité à court terme", mais n'est pas "incompatible" avec une reprise de la croissance "si elle est sélective et structurelle".

"Les efforts qu'on ne fait pas aujourd'hui, de toute façon, il faudra les faire demain, si l'on souhaite mettre fin à la spirale de la dette. Donc autant réduire la dépense publique par étape, en commençant dès cette année", conclut M. Artus.

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