par Pascale Denis

A l'occasion du sommet mondial consacré au secteur que Reuters a organisé du 1er au 3 juin, les responsables des groupes de luxe se sont dits inquiets pour la croissance européenne et ont ajouté qu'il n'anticipaient pas de retour rapide aux niveaux de ventes d'avant la crise.

Après une vigoureuse reprise des ventes du luxe au premier trimestre 2010, l'environnement s'est assombri avec les plans d'austérité qui se profilent en Europe et la chute des marchés boursiers intervenue mi-avril.

Francesco Trapani, patron du joaillier italien Bulgari, a estimé que le marché européen devrait rester difficile et que l'impact des mesures d'austérité face au mur de la dette se ferait surtout sentir en 2011.

"Une poursuite de la baisse des marchés financiers aura elle aussi un impact sur la consommation du luxe", a-t-il ajouté.

La Prairie, le fabricant de crèmes de soins ultra-haut de gamme du groupe allemand Beiersdorf, a dit pour sa part ne pas anticiper avant 2012 un retour à ses niveaux d'avant la crise, tandis que pour le dirigeant de Cerruti, Florent Perrichon, les marchés français et italien pourraient terminer l'année sur une note stable.

L'horloger Hublot, filiale du numéro un mondial du luxe LVMH, s'est lui aussi dit prudent pour l'année en cours malgré un très fort rebond des ventes de montres en début d'année.

L'Europe compte pour environ un quart du marché mondial du luxe.

LA CHINE, ENCORE ET TOUJOURS

A l'unisson, tous les acteurs interrogés ont dit miser sur la Chine, où la croissance des ventes du secteur atteint souvent 20%, voire plus, et alors que les économistes ne font pas de scénario de fort ralentissement de sa croissance.

Le pays, devenu l'eldorado des groupes de luxe malgré des difficultés administratives et bureaucratiques, verra ainsi l'essentiel des ouvertures de boutiques cette année.

"La zone euro est un marché non négligeable, mais la réserve de croissance se trouve aujourd'hui dans les pays émergents et notamment en Chine, dont la demande tire l'ensemble du secteur", a observé Isabelle Ardon, gérante spécialiste du luxe chez SG Gestion.

Le consommateur chinois, pour qui luxe rime avec Occident, est devenu le premier consommateur du secteur (en comptant les achats réalisés dans le pays et ceux liés au tourisme), comptant pour environ 25% des ventes mondiales, devant l'Américain, l'Européen et le Japonais (à parts sensiblement égales de 20%).

Le maroquinier Longchamp a dit qu'il concentrerait ses ouvertures de magasin à Pékin, Shanghai et Singapour. Son concurrent américain Coach, qui va faire son arrivée en France prochainement, a estimé lui aussi que le marché chinois était "sa priorité".

POTENTIEL AMÉRICAIN

Très important aussi pour les acteurs du luxe, l'évolution du marché américain fait l'objet de toutes les attentions, et ce d'autant plus qu'il semble être encore sous-exploité.

"Un plan d'austérité aux Etats-Unis, ça serait embêtant pour la reprise du secteur, car l'Amérique du Nord reste un relais de croissance", commente un analyste qui a souhaité garder l'anonymat.

Le consommateur américain dépense en moyenne beaucoup moins que d'autres dans les produis de luxe. Selon Isabelle Ardon, il y consacre 0,2% de son revenu disponible, contre 0,9% en Europe et 1% au Japon.

Le directeur général de la chaîne de grands magasins américains haut de gamme Saks, Stephen Sadove, a dit observer un retour de la consommation.

Le patron de Hublot a précisé y avoir enregistré des ventes record le mois dernier, tout comme celui de Longchamp.

Certains, comme Cerruti, estiment cependant que le marché américain reste structurellement difficile, pour des raisons culturelles propres au pays.

"Le luxe n'est pas quelque chose de spontané pour les Américains et il faut avoir une communication très forte pour pénétrer le marché. Il attire moins l'Américain que l'Asiatique", a observé Florent Perrichon, directeur général de la maison de couture italienne Cerruti.

Selon les prévisions de Bain & Co, le marché mondial du luxe devrait progresser de 4% cette année, après une chute estimée à 8% l'an dernier. Le cabinet de conseil a fait savoir en mai qu'il maintenait ses prévisions en dépit de la chute des marchés boursiers déclenchée mi-avril par la crise grecque.

Au premier trimestre, le secteur du luxe a vu ses ventes grimper de 15% en moyenne, profitant de la fin des déstockages et d'un effet de base très favorable après une année 2009 particulièrement noire, la pire que le secteur ait jamais connue.

Ce rebond a d'ailleurs été largement minimisé par les grands noms du secteur qui ont averti que la tendance des trois premiers mois de l'année n'était pas extrapolable à l'ensemble de 2010.

Avec la contribution d'Astrid Wendlandt, Silke Koltrowitz, Antonella Ciancio et Eva Kuehnen à Paris, Phil Wahba à New York, édité par Dominique Rodriguez