* Les frappes coordonnées de la nuit de vendredi à samedi sont sans précédent en Syrie

* Washington, Paris et Londres disent avoir atteint leurs objectifs

* Moscou et Téhéran dénoncent une agression

* Macron souhaite que le Conseil de sécurité reprenne l'initiative

par Steve Holland et Tom Perry

WASHINGTON/BEYROUTH, 15 avril (Reuters) - Les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont déclaré samedi que leurs frappes "ciblées" menées la nuit précédente contre le programme d'armes chimiques du régime syrien avaient atteint leurs objectifs.

Ces frappes, menées en riposte au bombardement chimique imputé au régime de Bachar al Assad le 7 avril dernier de l'ex-ville rebelle de Douma, dans la périphérie de Damas, ont été dénoncées par le pouvoir syrien et par ses deux principaux alliés, la Russie et l'Iran.

Mais cette riposte d'une ampleur limitée n'est vraisemblablement pas de nature à changer la donne en Syrie, où le régime de Bachar al Assad a la main alors que la guerre civile en est à sa huitième année, comme l'a déploré l'opposition syrienne, qui craint désormais des représailles.

Au total, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont tiré 105 missiles, visant un centre de recherche scientifique à Barzeh, un quartier de Damas, et deux autres sites proches de la ville de Homs, dans l'ouest du pays.

Le plus grand soin a été pris dans la sélection des cibles pour réduire le risque de toucher des soldats russes, présents depuis septembre 2015 en Syrie.

"Nous pensons qu'en ayant frappé en particulier Barzeh, nous avons attaqué le coeur du programme syrien d'armes chimiques", a déclaré le directeur de l'état-major américain, le général Kenneth McKenzie, lors d'un point de presse samedi au Pentagone.

TRUMP: "MISSION ACCOMPLIE"

Cette intervention des puissances occidentales contre le régime d'Assad est d'une ampleur sans précédent depuis le début de la crise.

En avril 2017, à la suite d'une précédente attaque chimique, les Etats-Unis avaient tiré 59 missiles Tomahawk sur une base aérienne de l'armée syrienne; la France et la Grande-Bretagne, elles, n'avaient jamais déclenché de frappe contre des installations du régime syrien.

"Mission accomplie", a tweeté samedi matin heure de Washington Donald Trump, qui avait annoncé une douzaine d'heures plus tôt dans une allocution télévisée depuis la Maison blanche le déclenchement de ces frappes en coordination avec les forces britanniques et françaises.

"Ce ne sont pas les actes d'un homme, mais les crimes d'un monstre", avait-il déclaré Trump au sujet du bombardement chimique de Douma.

En France, la ministre des Armées, Florence Parly, a déclaré samedi après-midi que les frappes avaient été couronnées de succès et que les missiles français tirés avaient tous atteint leurs objectifs.

"Compte tenu des informations dont nous disposons, je peux affirmer que la mission est un succès", a déclaré la ministre. "Ses objectifs militaires sont atteints et la capacité de la Syrie à concevoir, produire et stocker des armes chimiques a été considérablement amoindrie."

Même évaluation à Londres, où le ministre britannique de la Défense, Gavin Williamson, a déclaré samedi matin que tous les équipages de la Royal Air Force qui avaient participé aux frappes étaient rentrés sains et saufs.

La Première ministre britannique, Theresa May, a déclaré pour sa part qu'après l'attaque chimique menée le week-end précédent à Douma, "il était à la fois juste et légal de décider une intervention militaire avec nos plus proches alliés pour prévenir de nouvelles souffrances humanitaires en altérant le potentiel d'armement chimique du régime syrien".

KHAMENEI: "ATTAQUER LA SYRIE EST UN CRIME"

Les frappes à l'inverse ont été dénoncées par Damas et ses alliés comme une agression illégale contre un pays souverain.

La Syrie a diffusé une vidéo montrant Assad arrivant à son bureau comme à l'accoutumée et sous-titrée "matinée de résistance"

A Moscou, Vladimir Poutine a condamné une attaque visant un gouvernement légitime en lutte contre le terrorisme. Le président russe a ajouté que cette escalade des tensions aggravait la catastrophe humanitaire en Syrie, qu'elle était source de souffrance pour la population civile et de nature à nuire aux relations internationales.

"Une fois de plus, on nous menace. Nous avons prévenu que de telles actions ne resteraient pas sans conséquences", avait averti dans la nuit l'ambassadeur russe aux Etats-Unis, Anatoli Antonov.

De son côté l'ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la Révolution islamique iranienne, a déclaré que "les Etats-Unis et leurs alliés ne tireront aucun avantage des crimes commis en Syrie". "Attaquer la Syrie est un crime. Le président américain, le Premier ministre britannique et le président français sont des criminels", a-t-il ajouté.

UNE RÉSOLUTION RUSSE EN ÉCHEC À L'ONU

Si Paris, Londres et Washington ont salué l'efficacité de cette opération coordonnée, cette dernière pose la question de savoir ce que les trois capitales occidentales entendent faire désormais face au régime d'Assad soutenu par Moscou.

Le Conseil de sécurité de l'Onu doit reprendre "dans l'unité" l'initiative en Syrie, a déclaré samedi la présidence française après des entretiens téléphoniques dans l'après-midi entre Emmanuel Macron, Donald Trump et Theresa May.

Les puissances occidentales ont précisé que cette vague de frappes était une "séquence unique" ('one-time shot', selon le secrétaire américain à la Défense, James Mattis) qui rétablissait la "ligne rouge" sur l'emploi d'armes chimiques, mais que la suite allait dépendre de l'attitude d'Assad.

"Nous sommes prêts à maintenir cette pression, si le régime syrien est assez fou pour tester notre volonté", a prévenu l'ambassadrice des Etats-Unis à l'Onu, Nikki Haley. "Si le régime syrien utilise à nouveau ce poison, les Etats-Unis sont prêts à faire feu."

Réuni samedi à la demande de la Russie, le Conseil de sécurité des Nations unies n'a pas adopté le projet de résolution présenté par Moscou qui entendait condamner l'agression commise contre la République arabe syrienne par les Etats-Unis et leurs alliés en violation du droit international et de la Charte des Nations unies".

La France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis devaient pour leur part présenter un projet de résolution "sur les volets politique, chimique et humanitaire du dossier syrien, en vue d’établir une solution durable au conflit", a dit l'ambassadeur de France auprès des Nations unies, François Delattre.

(Avec les bureaux de Washington, Londres, Beyrouth et Moscou et Marine Pennetier, Jean-Baptiste Vey et Emmanuel Jarry à Paris édité par Danielle Rouquié, Marc Joanny, Nicolas Delame et Henri-Pierre André)