par Marie Maitre et Nina Sovich

Les groupes français du secteur devraient notamment réserver l'EPR - le réacteur nucléaire de nouvelle génération d'Areva - aux pays riches, très soucieux d'améliorer la sécurité pour des raisons politiques et qui disposent d'un réseau électrique adapté aux grandes centrales, ajoutent-ils.

Des technologies plus anciennes mais moins chères devraient en revanche être proposées à des pays comme l'Inde ou les Etats du Golfe, et Areva aurait aussi intérêt à mettre au point rapidement un réacteur plus petit mais intégrant néanmoins des technologies de pointe, selon les analystes.

Un consortium sud-coréen mené par Korea Electric Power (Kepco) a remporté fin décembre un contrat de 40 milliards de dollars pour construire et exploiter quatre réacteurs destinés aux Emirats arabes unis, aux dépens du consortium français mené par EDF et GDF Suez, qui comprenait aussi Areva et Total.

Les Emirats arabes unis souhaitent disposer du nucléaire pour réserver leur production de pétrole à l'exportation et disposer de capacités excédentaires d'électricité susceptibles d'être vendues à des pays voisins.

Abou Dhabi a sélectionné le groupe sud-coréen parce que l'EPR français était trop cher, ont indiqué à Reuters deux sources proches du dossier.

Les sud-coréens auraient offert de construire quatre réacteurs pour 14 milliards d'euros (20 milliards de dollars), tandis que le consortium français demandait 25 milliards d'euros (36 milliards de dollars) pour le même nombre de réacteurs, qui disposent toutefois d'une capacité totale supérieure et d'une technologie plus avancée.

"(Les groupes français) vont devoir se pencher sur leur stratégie de candidature et se demander s'ils ont besoin d'offrir des Rolls Royce à tous les coups", commente Alex Barnett, analyste chez Jefferies, à propos de l'EPR.

UNE PANOPLIE ELARGIE

La perte d'un tel contrat suscite des interrogations sur la volonté du consortium français de s'adapter aux besoins d'Abou Dhabi, en lui proposant éventuellement une alternative à l'EPR. Les groupes français ont peut-être simplement parié sur le fait que ce pays pétrolier avait largement les moyens de s'offrir cette technologie en dépit de la crise financière actuelle.

"Je n'ai pas de leçon à donner, mais les entreprises doivent être à l'écoute de leur client (...). L'offre française n'était sans doute pas la mieux calibrée. Ce n'est pas simplement une affaire de coût, même si l'on sait que nous étions un peu plus chers que les Coréens", a commenté la ministre de l'Economie Christine Lagarde, dans un entretien aux Echos publié mardi.

La perte du contrat aux Emirats permet également de douter de l'objectif affiché par Anne Lauvergeon, la présidente d'Areva, que son groupe capte un tiers du marché de la construction de nouvelles centrales nucléaires.

La stratégie consistant à miser sur l'EPR, qui peut produire 1.650 mégawatts (MW), soit 250 MW de plus que le modèle coréen retenu, a échoué car elle n'a pas tenu compte des besoins d'Abou Dhabi, a estimé une source proche des négociations.

Areva, qui a refusé de commenter la perte du contrat à Abou Dhabi, a souligné qu'il travaillait sur le développement de l'Atmea, un nouveau type de réacteur intégrant une technologie moderne et doté d'une capacité de 1.100 MW.

Ce réacteur, qui aurait pu convenir au marché d'Abou Dhabi, ne sera toutefois pas commercialisé avant 2011.

D'autres membres du consortium contestent l'idée qu'un autre réacteur que l'EPR aurait eu plus de succès à Abou Dhabi et qu'une solution alternative n'avait pas été jugée envisageable.

D'AUTRES CHANCES À L'EXPORT POUR L'EPR

"Abou Dhabi a demandé un EPR mais ils le voulaient pour le prix du réacteur APR1400 (de Kepco), ce qui était tout simplement impossible. Ils devaient choisir entre un produit qui était trop cher et un produit qu'ils aimaient moins mais à un prix qu'ils étaient prêts à payer", a indiqué à Reuters une autre source proche du dossier.

"Ils voulaient une Mercedes, mais au prix d'une Kia", a-t-elle ajouté, en référence au constructeur allemand d'automobiles haut de gamme et au groupe sud-coréen qui propose des voitures plus petites et moins chères.

Certains analystes estiment toutefois que l'EPR peut encore tirer son épingle du jeu aux Etats-Unis, en Chine et en Italie, où de nouvelles centrales nucléaires pourraient être construites.

L'EPR, dont le premier exemplaire est actuellement en construction en Finlande, devra toutefois surmonter la mauvaise presse dont il a fait l'objet récemment.

Areva estime notamment à 2,3 milliards d'euros la perte en terminaison du chantier finlandais en raison de retards et de surcoûts.

Pis, Areva et EDF ont été pointés du doigt en novembre par les autorités réglementaires française, britannique et finlandaise, préoccupés par la fiabilité du système de sécurité utilisé pour piloter le réacteur en cas d'incident et de son indépendance vis-à-vis du mécanisme de contrôle en fonctionnement normal.

La Chine, où deux EPR sont actuellement en construction, reste le marché le plus prometteur alors que Pékin a manifesté son intérêt pour la construction d'autres centrales.

Avec la contribution de Muriel Boselli, version française Marie Mawad et Benjamin Mallet, édité par Jean-Michel Bélot et Dominique Rodriguez