Zurich (awp) - Les difficultés de Credit Suisse, qui a été rachetée dimanche par UBS, ne datent pas d'hier. Mais le rythme des revers s'est accéléré depuis le départ de l'ex-patron Tidjane Thiam en février 2020. Voici une chronologie des événements:

L'affaire des filatures

L'affaire a éclaté en septembre 2019, avec la révélation de la filature du banquier star Iqbal Khan, passé depuis au concurrent UBS, où il codirige la gestion de fortune. Le directeur général de l'époque, Tidjane Thiam, avait été éclaboussé par ce scandale. L'écho médiatique de l'affaire et le dégât d'image porté à Credit Suisse ont précipité en février 2020 le départ du Franco-Ivoirien, arrivé en 2015 pour redresser la barre.

Une enquête de la Finma avait révélé que la banque a planifié et en grande partie réalisé sept filatures entre 2016 et 2019. Dans ceux de ces cas, des membres de la direction ont été suivis en Suisse. Les filatures ont aussi concerné des collaborateurs et des tiers à l'étranger.

Alors que Thomas Gottstein succède à Tidjane Thiam en février 2020, le redressement de la banque qui s'était enclenché - le dernier exercice annuel dans les chiffres noirs remonte à 2020 - est rapidement entravé par de nouveaux ennuis.

Débâcles de Greensill et Archegos

Thomas Gottstein est confronté coup sur coup aux débâcles des fonds liés à Greensill et de la société d'investissement Archegos, auxquelles viennent s'ajouter plusieurs dossiers juridiques.

Début mars 2021, Credit Suisse se lance dans la liquidation des fonds liés à la société d'affacturage britannique Greensill, qui a déposé le bilan, et commence le remboursement des quelque 10 milliards de dollars (9,3 milliards de francs suisses) investis dans ces véhicules de placement dits "Supply Chain Finance". Jusqu'à présent, les investisseurs ont été remboursés à hauteur de 6,8 milliards de dollars.

La faillite du fonds Archegos de l'investisseur controversé Bill Hwang en mars 2021 frappe plusieurs banques mais l'établissement zurichois est le plus touché de tous. Le fiasco d'Archegos lui aura coûté au total plus de 5 milliards de francs suisses.

Des déboires judiciaires fragilisent encore la situation financière de la banque. En octobre 2021, Credit Suisse doit verser près de 475 millions de dollars aux autorités américaines et britanniques pour solder des poursuites liées à des levées de fonds organisées par l'établissement bancaire au nom d'entreprises publiques au Mozambique, au coeur d'une vaste affaire de corruption.

A Singapour, un autre litige occupe les juristes de la banque, en lien avec l'ex-premier ministre géorgien Bidzina Ivanishvili et pour lequel une procédure est déjà en cours aux Bermudes. L'oligarque a attaqué Credit Suisse dans plusieurs juridictions.

Suisses Secrets

Les révélations des "Suisses Secrets" entachent encore la réputation de la banque. Menée par l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), un consortium regroupant 47 médias, dont Le Monde, The Guardian ou le New York Times, l'enquête affirme que Credit Suisse a pendant plusieurs décennies hébergé des fonds de clients comptant autocrates, trafiquants et criminels de guerre présumés.

Valse des fauteuils

Après deux ans à lutter contre les scandales, Thomas Gottstein jette l'éponge dans un contexte tendu. Il est remplacé par Ulrich Körner en juillet 2022. Bien qu'ayant passé 11 ans à la direction du concurrent UBS, M. Körner n'est pas pour autant un inconnu de la maison, ayant siégé à direction de la banque aux deux voiles pendant une dizaine d'années au cours de la première partie de sa carrière.

Le conseil d'administration n'est pas épargné par l'instabilité managériale qui secoue la banque. Après la présidence d'Urs Rohner, qui aura duré une décennie (2011 en mai 2021) et résisté à l'affaire des filatures, les changements s'enchaînent à la tête de l'organe de surveillance.

Succédant à M. Rohner, le Portugais Antonio Horta-Osorio passe tout juste huit mois à son poste, après avoir contrevenu à plusieurs reprises aux règles de quarantaines mises en place pour lutter contre le coronavirus. Suite à sa démission, M. Lehmann est formellement élu à la tête du conseil d'administration fin avril 2022.

Pertes toujours plus abyssales

En 2022, le numéro deux bancaire helvétique essuie une perte nette de 7,29 milliards de francs suisses, le plus important débours depuis la crise financière de 2008, et après avoir déjà inscrit un résultat net négatif de 1,65 milliard en 2021.

Face à ses nombreux déboires, Credit Suisse mène un vaste plan de relance comprenant une "restructuration radicale" de sa banque d'affaires et une réduction des coûts se soldant par 9000 emplois supprimés. Le nombre de postes doit ainsi passer de 49'000 au total en 2022 à 43'000 d'ici 2025, soit une baisse de 17%. L'établissement veut également réduire ses dépenses de 1,2 milliard en 2023 et de 2,5 milliards en 2025.

Augmentation de capital

Pour mettre en oeuvre son plan de restructuration, Credit Suisse procède à une augmentation de capital de 4 milliards de francs suisses, à l'issue de laquelle Saudi National Bank devient le nouvel actionnaire de référence de la banque aux deux voiles, avec une participation de près de 10%. Qatar Investment Authority, le groupe saoudien Olayan ainsi que la société de placement Blackrock détiennent chacun environ 5%.

Mais les difficultés de la banque auront épuisé certains actionnaires. Harris Associates, qui aurait détenu jusqu'à 10% de la banque à l'été 2022, est ainsi passé en janvier sous la barre de l'obligation d'annonce, signe qu'il possède moins de 3% du capital.

Sorties de fonds massives

Alors que l'espoir d'un redressement se fait de plus en plus mince, les investisseurs ne sont pas les seuls à perdre patience, les clients également. Les sorties de fonds s'accélèrent. Ces reflux ont atteint 123,2 milliards sur l'ensemble de l'année 2022, dont 110,5 milliards au seul quatrième trimestre.

Dans un contexte très tendu pour le secteur bancaire, suite à la faillite de plusieurs banques américaines la semaine dernière, les déclarations mercredi du principal actionnaire du groupe bancaire zurichois, Saudi National Bank (SNB), mettent le feu aux poudres. Les Saoudiens excluent en effet tout nouveau soutien financier. Dans la foulée, le titre Credit Suisse chute de plus d'un quart en clôture.

Soutien de la BNS et de la Finma

Mercredi soir, la BNS et l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) ont assuré le groupe de leur soutien. "Credit Suisse satisfait aux exigences en matière de capital et de liquidités imposées aux banques d'importance systémique. En cas de besoin, la BNS mettra des liquidités à la disposition du Credit Suisse", ont-ils déclaré.

Credit Suisse a dans la foulée annoncé qu'elle allait emprunter jusqu'à 50 milliards de francs suisses à la BNS pour se "renforcer". L'établissement zurichois a, parallèlement, annoncé une série d'opérations de rachat de dette pour environ 3 milliards de francs suisses.

Rachat par UBS pour 3 milliards

Dimanche soir, UBS a annoncé qu'elle déboursera une action propre pour 22,48 actions Credit Suisse dans le cadre du rachat précipité du numéro deux bancaire helvétique par son grand rival. La transaction valorise l'établissement de la Paradeplatz à quelque trois milliards de francs suisses ou 76 centimes par action Credit Suisse.

La Confédération accorde une garantie de 9 milliards de francs suisses à UBS afin de réduire les risques que cet établissement encourt du fait de l'acquisition de certains actifs pouvant potentiellement subir des pertes. La BNS va pour sa part allouer "d'importantes aides sous forme de liquidités". Les deux banques "peuvent obtenir une aide sous forme de liquidités jusqu'à concurrence de 100 milliards de francs suisses au total au moyen d'un prêt couvert par un privilège en cas de faillite".

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