HONG KONG, 5 octobre (Reuters) - Pékin a évité d'intervenir de manière trop directe pour soutenir le promoteur China Evergrande Group, tombé de Charybde en Scylla ces deux dernières années, et considéré jusqu'à peu comme trop systémique pour faire faillite.

Alors que le promoteur le plus endetté du monde se trouve désormais au bord du précipice après l'ouverture d'une enquête criminelle sur son fondateur milliardaire, certains créanciers, investisseurs et analystes parient désormais que le gouvernement interviendra pour limiter l'ampleur de la crise.

Un effondrement désordonné du géant de l'immobilier pourrait ébranler une économie déjà en difficulté, avec des centaines de milliers de maisons inachevées à travers le pays et un passif d'environ 300 milliards de dollars rien qu'en Chine.

Bien qu'un nombre croissant de promoteurs immobiliers chinois soient en défaut de paiement depuis la crise de liquidité qui a frappé le secteur en 2021, Pékin n'est pas intervenu directement pour renflouer une entreprise jusqu'à présent.

Les perspectives d'adoption du plan de restructuration de la dette offshore d'Evergrande, essentiel à sa survie, ont été assombries par l'enquête sur le fondateur et président du groupe Hui Ka Yan.

L'enquête suggère que les efforts de restructuration de la dette menés par Hui ont été rejetés par le gouvernement central, qui va maintenant intervenir pour prendre le contrôle et formuler de nouveaux plans, a déclaré Xin Sun, maître de conférences sur la Chine et l'Asie de l'Est au King's College de Londres.

"L'enquête sur Hui montre clairement que les décideurs chinois privilégient les considérations politiques aux considérations économiques dans leurs relations avec Evergrande", explique-t-il.

"D'un point de vue politique, le gouvernement doit s'assurer que l'entreprise et ses propriétaires paient pour avoir provoqué la crise immobilière en Chine et qu'ils soient dûment sanctionnés. Toute restructuration ne pourra avoir lieu qu'une fois cette responsabilité politique assumée."

Selon un rapport du cabinet d'études macroéconomiques Gavekal Dragonomics, Evergrande a des engagements contractuels - des paiements effectués à l'avance par les acheteurs de logements - d'un montant de 604 milliards de yuans (74 milliards d'euros), ce qui équivaut à environ 600.000 logements.

Pékin a fait de l'achèvement et de la livraison de ces logements une priorité absolue alors que la multiplication des appartements inachevés dans tout le pays a provoqué des mouvements de protestation dans tous le pays l'an dernier.

"La priorité du gouvernement sera clairement de livrer les logements invendus et inachevés aux acheteurs", résume Christopher Beddor, directeur adjoint de la recherche sur la Chine chez Gavekal Dragonomics, en faisant référence à la situation d'Evergrande.

"Il n'est pas nécessaire que le gouvernement prenne officiellement le contrôle de l'entreprise, ni même qu'il impose un actionnaire à sa main, pour exercer une influence massive sur les décisions de l'entreprise ou pour que l'ensemble du secteur ne s'étatise".

Evergrande et le régulateur chinois du logement n'ont pas immédiatement répondu aux demandes de commentaires, faites au cours de la semaine de vacances de la fête nationale.

RESTRUCTURATION D'EVERGRANDE

Avant même que l'enquête sur Hui ne soit rendue publique, le plan de restructuration a été compliqué par l'annonce de l'impossibilité pour Evergrande d'émettre de nouvelles dettes en raison d'une enquête sur sa principale unité chinoise.

À la fin du mois dernier, Evergrande a également déclaré devoir réévaluer les conditions de restructuration proposée, car les ventes de logements ne répondaient pas aux attentes.

"L'émission de nouveaux titres est une part essentielle de toute restructuration, et je ne sais pas comment on peut y arriver sans cela", a déclaré Sandra Chow, coresponsable de la recherche pour l'Asie-Pacifique chez CreditSights.

Dans son rapport, Gavekal indique qu'une restructuration ordonnée d'Evergrande semble de plus en plus difficile à réaliser. Une requête en liquidation déposée contre Evergrande doit être entendue par un tribunal de Hong Kong le 30 octobre.

Une source proche d'Evergrande a déclaré que la restructuration de la dette serait retardée, mais qu'elle pourrait encore avoir lieu avec l'aide d'un comité de gestion des risques nommé par le gouvernement.

Un comité de gestion des risques a été mis en place en décembre, comprenant des représentants d'entreprises publiques, afin d'aider à la restructuration de la dette et des actifs.

Un détenteur d'obligations d'Evergrande a toutefois déclaré que les efforts de restructuration allaient être compromis par l'enquête sur Hui et que le promoteur pourrait être mis en liquidation même après l'intervention du gouvernement.

Mais rien n'est encore clair sur la manière dont se déroulera potentiellement l'une des plus grandes liquidation au monde et sur ce qu'il adviendra des créanciers, notamment étrangers, des fournisseurs et des acheteurs qui attendent la livraison des appartements.

Sur un passif total de 327 milliards de dollars à la fin du mois de juin, Evergrande a cherché à obtenir l'approbation de ses créanciers pour restructurer 31,7 milliards de dollars de dette offshore.

En raison de l'ampleur de cette dette, de la détérioration des flux de trésorerie et des volumes importants de projets inachevés, certains analystes se demandent si Evergrande n'est pas passée du statut de société trop systémique pour faire faillite à celui de société trop compliquée pour subsister.

"Evergrande est d'une telle importance que son effondrement doit être géré, en partie à cause de sa taille, (et) en partie à cause des attentes des différents acteurs", relève Antonio Fatas, professeur d'économie à l'INSEAD.

En Chine, "en raison du système politico-économique et de la grande ingérence du gouvernement et des entreprises d'État, la question politique sur la manière de partager les pertes associées à des événements comme celui-ci se posera toujours".

(Reportage Xie Yu, Clare Jim, reportage additionnel Kane Wu, rédaction Sumeet Chatterjee, version française Corentin Chappron, édité par Blandine Hénault)