Tous les stratégistes le prédisent : le retour de la croissance devrait entraîner un surcroît important des opérations de fusions et acquisitions. Il faut dire que l'on revient de loin. En 2009, les opérations au niveau mondial ont atteint un plus bas avec 600 milliards d'euros contre 3 000 milliards d'euros en 2007. La crise financière a en effet créé un tel climat d'incertitudes que peu d'entreprises ont pris le risque de mener ce type d'opérations. La crise cédant du terrain, on s'attend donc à une reprise du mouvement. D'autant qu'il existe un certain nombre de raisons objectives qui devraient pousser les entreprises à mener des opérations de croissance externe. La première est macroéconomique : en effet, si on s'attend globalement à une reprise durable de la croissance, celle-ci devrait rester à un niveau faible dans les prochaines années en Europe et aux Etats-Unis. Par conséquent, les entreprises seront à la recherche de relais de croissance. «Pour dynamiser leur développement, les entreprises vont devoir procéder à des opérations de croissance externe, indique Jean-François Arnaud, gérant chez CamGestion. Cela peut leur permettre de trouver un supplément d'activité ou de se positionner sur de nouveaux marchés.»

Les entreprises seront d'autant plus tentées de recourir à ce procédé qu'elles ont nettement amélioré leurs marges opérationnelles. «Les entreprises ont reconstitué leur rentabilité, explique Emmanuel Chapuis, gérant chez Oddo Asset Management. Elles ont été très réactives pour couper leurs coûts dès le début de la crise et ont ainsi réussi à obtenir des niveaux de rentabilité qui se situent à des seuils historiques.» Qui plus est, elles ont commencé à utiliser ces marges afin de commencer à se désendetter. «Le ratio dette sur fonds propres s'est globalement amélioré ces derniers mois en Europe et aux Etats-Unis, indique Emmanuel Chapuis. Le ratio d'endettement par rapport au résultat témoigne également à la fois d'une réduction de l'endettement et d'une augmentation des bénéfices. Les bilans des entreprises sont ainsi beaucoup plus solides qu'avant la crise.» Ce mouvement devrait également être facilité par un meilleur accès au crédit, notamment grâce à des niveaux de taux d'intérêt très bas. «L'accès au crédit s'est normalisé, les spreads de crédit se sont détendus, explique Emmanuel Chapuis. Les banques réallouent des crédits aux grandes entreprises qui n'ont plus aucun problème de financement.» Seul bémol, les perspectives des entreprises restent encore incertaines. Le mouvement devrait ainsi se mettre en place progressivement tout au long de l'année.

Tous les secteurs et toutes les zones géographiques sont concernés. Beaucoup d'opérations devraient d'ailleurs s'effectuer de façon transfrontalière et impliquer des pays émergents. «Les entreprises des grands pays émergents sont à la recherche d'entreprises avec un fort contenu technologique, indique Jean-François Arnaud. Des entreprises chinoises ou indiennes par exemple pourraient s'intéresser à des entreprises industrielles européennes ou américaines et récupérer par le biais d'une acquisition des technologies qu'elles ne possèdent pas.»

Le transfert de technologie n'est pas le seul enjeu, la Chine par exemple cherche à sécuriser ses approvisionnements en matière première, les fusions et acquisitions peuvent constituer un bon moyen pour cela. Les flux ne devraient toutefois pas se faire dans un seul sens car les entreprises des économies développées sont également à la recherche de relais de croissance dans les économies émergentes et pourraient utiliser les opérations de fusions et acquisitions afin de s'implanter localement.

Ce thème d'investissement particulièrement en vogue depuis le début de l'année irrigue donc de nombreux fonds sans que cela apparaisse forcément explicitement dans leur intitulé. Certains gérants comme Oddo Asset Management jouent cette thématique dans de nombreux fonds actions, car ils considèrent que ce thème des fusions et acquisitions devrait animer le marché dans les prochains mois. Il existe toutefois pour les investisseurs convaincus de l'intérêt de cette thématique des fonds dédiés qui portent explicitement sur ce thème d'investissement. Beaucoup d'entre eux s'intéressent aux «situations spéciales». Ce vocable regroupe à la fois le thème des fusions et acquisitions et celui des restructurations, d'autres fonds mentionnent uniquement le terme d'OPA (offre publique d'achat) ou celui d'opportunités dans leur intitulé ou encore uniquement celui des restructurations. On retrouve par ailleurs des fonds sur ce thème pour toutes les zones géographiques : Europe, Etats-Unis, Japon, Asie, etc. Certains fonds ont de ce fait une amplitude mondiale. Parmi les meilleurs fonds sur un an en termes de performance, on notera la présence de fonds investis en Asie-Pacifique comme dans toutes les catégories de fonds, mais pas uniquement, le top 5 établi par Morningstar mentionne également des fonds investis en France comme celui d'Oddo Asset Management ou au Royaume-Uni.

Oddo Asset Management possède un fonds thématique, Oddo Cibles et Leaders, qui s'intéresse aux fusions et acquisitions et aux entreprises en restructuration. «La moitié de notre portefeuille correspond à des sociétés leaders dans leur secteur avec de fortes capacités bilancielles qui pourraient acheter des actifs à un prix attractif, précise Emmanuel Chapuis. 30 % de notre fonds se focalise sur le thème des restructurations. Nous privilégions dans ce cadre les matériaux de base ou encore l'industrie automobile. La réduction des surcapacités des entreprises dans ces secteurs devrait conduire à une revalorisation de leurs actifs. Enfin, 20 % du portefeuille correspond à des cibles.» Même profil de gestion pour CamGestion situations spéciales, un fonds de CamGestion qui utilise trois vecteurs différents de performance. Ce fonds est investi sur les valeurs à la casse ou penny stock, sur les valeurs dites stressées, c'est-à-dire celles ayant subi une baisse des cours suite à une annonce du type alerte sur les résultats, et enfin sur celles pouvant faire l'objet ou initier une opération capitalistique. «Nous intégrons dans notre portefeuille, en ce moment, essentiellement des valeurs qui répondent à la thématique des opérations capitalistiques (proie ou prédatrice), et ce au détriment des valeurs dites stressées, indique Jean-François Arnaud. Notre fonds est géré de façon très opportuniste afin de pouvoir profiter d'une des trois thématiques présentes dans notre fonds, celle qui nous semble la plus appropriée en fonction de l'évolution des marchés et des perspectives macroéconomiques.»

On peut également trouver des fonds qui associent ces «situations spéciales» à la recherche de valeurs décotées. Amundi propose à ce titre plusieurs fonds sur ce thème dont un est à la recherche des opportunités au niveau mondial, SGAM Invest Monde Opportunités (le nom du fonds n'a pas encore changé) qui brasse plusieurs thématiques. «Nous nous intéressons aux valeurs dont la croissance est sous-estimée par le marché, aux valeurs en redressement ainsi qu'à celles qui ont entrepris une restructuration et qui pourraient faire l'objet d'une opération capitalistique, relate Claude Rivaud, gérant chez Amundi. Nous nous intéressons dans ce cadre aux affaires familiales dont le développement nécessite l'entrée au capital de partenaires.» La dernière thématique à laquelle s'intéresse le gérant dans le cadre de ce fonds concerne les valeurs, souvent des filiales, qui devraient, selon son analyse, être retirées de la cote. Une parmi les multiples façons de s'intéresser à ce thème d'investissement. Comme tout produit dédié aux actions, la durée d'investissement recommandée est au minimum de trois ans.

Sandra Sebag