Cette nouvelle organisation, fruit de plusieurs semaines d'intenses négociations après l'échec du projet de fusion avec le britannique BAE Systems, répond en grande partie à la volonté du président exécutif d'EADS, Tom Enders, de faire du groupe européen d'aérospatiale et de défense une entreprise "normale".

Mais la constitution du conseil va requérir une grande habilité diplomatique.

"Ce sera le premier test pratique sur le fait de savoir qui obtient ce qu'il veut au sein du nouvel EADS", note Nick Cunningham, analyste chez Agency Partners.

Tant qu'EADS sera dirigé par l'Allemand Tom Enders, le président du conseil d'administration restera probablement français. Mais les investisseurs veulent cette fois un président fort à la tête du conseil, capable de résister aux influence politiques et de se battre pour les intérêts commerciaux du groupe.

Les Français Philippe Camus, ancien coprésident du groupe européen d'aérospatiale et de défense, et Jean-Louis Beffa, président d'honneur du verrier Saint-Gobain, ont intégré la liste des candidats susceptibles d'intégrer le conseil, voire d'en prendre la présidence, selon des sources proches du dossier.

Les noms des successeurs potentiels à Arnaud Lagardère circulent au moment où EADS clame sa volonté de se libérer du joug des Etats, tout en essayant discrètement de tenir compte des enjeux politiques d'un accord qui a conduit la France et l'Allemagne à accepter une participation équivalente dans EADS.

Le nom de l'ancien président de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet a été également été cité pour la présidence du conseil d'administration, mais il pourrait être handicapé par son manque d'expérience industrielle au moment où EADS fait face aux réductions budgétaires dans la défense et à la naissance d'un nouvel avion, le futur long-courrier A350.

Si Philippe Camus obtient la présidence du conseil d'administration, il signerait ainsi un retour surprise après avoir dû quitter EADS en 2005, poussé dehors par Jacques Chirac à l'issue d'une brutale lutte de pouvoir. Ce vétéran de l'aérospatiale, batteur de jazz, donnerait au groupe un nouveau tempo.

Une porte-parole de l'équipementier télécoms Alcatel-Lucent, dont Philippe Camus préside le conseil d'administration, s'est refusée à tout commentaire, et il n'est pas certain qu'il souhaite le poste.

Jean-Louis Beffa, qui a passé 21 ans à la tête de Saint-Gobain, hissant le groupe tricentenaire au rang de géant mondial des matériaux de construction, a dit à Reuters ne pas avoir été contacté. "Personne ne m'a parlé. Je ne peux confirmer ni démentir quoi que ce soit", a-t-il dit.

L'ex-patronne du groupe nucléaire français Areva, Anne Lauvergeon, serait également intéressée. L'ancienne "sherpa" de François Mitterrand permettrait de renforcer la présence trop rare des femmes dans les postes élevés de l'industrie française.

Selon une source proche d'Anne Lauvergeon, elle ne ferait pas campagne pour obtenir ce poste. Son nom a été récemment cité pour plusieurs postes de direction dans des entreprises françaises, sans succès jusqu'à présent.

EADS s'est refusé à tout commentaire.

NÉGOCIATIONS FÉBRILES

Le groupe, qui compte aussi Eurocopter, la branche spatiale Astrium et le pôle de défense et sécurité Cassidian, était jusqu'à présent contrôlé par un pacte d'actionnaires conclu entre l'Etat français et Lagardère côté français et le constructeur automobile allemand Daimler côté allemand.

Les postes étaient alors attribués en fonction de quotas nationaux tandis que la stratégie et même l'installation des usines et de bureaux étaient des sujets politiques négociés entre Paris et Berlin.

L'accord conclu début décembre, un mois et demi après l'échec du projet de fusion entre EADS et le britannique BAE Systems, est sur le point de changer la donne.

Il offre à EADS un conseil d'administration indépendant, hors d'atteinte des gouvernements français et allemand ou des actionnaires industriels représentant leurs intérêts.

Le processus de nomination du conseil, mené par l'Anglo-Américain Sir John Parker, président du comité des nominations d'EADS, semble pour l'instant se dérouler sans heurts.

Mais les risques de nouvelles dissensions sont devenus évidents pendant la préparation du récent accord. La méthode de sélection du conseil a figuré parmi les sujets les plus contestés lors des récentes négociations sur la gouvernance d'EADS.

Pendant les discussions, l'Allemagne avait insisté pour avoir le droit de nommer des administrateurs. La France avait déjà renoncé à cette prérogative dans le cadre des discussions sur le projet de fusion avec BAE et était donc mieux disposée, selon plusieurs personnes ayant participé aux discussions.

LA RÈGLE DES 30%

EADS, dont l'action a gagné 17% depuis l'annonce de l'accord sur son capital début décembre, va effectuer une mue en trois phases lui permettant de passer d'un groupe dominé par le sacro-saint équilibre franco-allemand à une société "normale" dotée d'un flottant de 70%.

Jusqu'à récemment, l'Etat français détenait 15% du capital, Lagardère 7,5% et Daimler 22,5%. Le groupe allemand a depuis cédé une partie de sa participation. L'Espagne a acquis 5,5%, portant le total à plus de 50%.

Le pacte avait commencé à se fissurer lorsque Daimler et Lagardère, pressés par la crise financière de se recentrer sur leur coeur de métier, avaient manifesté leur intention de sortir du capital.

En 2011, des responsables avaient envisagé de laisser les Etats français et allemand simplement racheter les participations de leurs partenaires, mais il n'y avait pas moyen de contourner la loi néerlandaise qui oblige des actionnaires détenant 30% d'une société à en prendre le contrôle. L'idée a donc été abandonnée.

Même un projet plus modeste de Daimler de céder sa participation de 7,5% à une banque publique allemande n'a pas débouché.

En 2012, EADS a vu dans la prise de contrôle de BAE une occasion de faire d'une pierre deux coups : atteindre son objectif de croissance dans la défense et supprimer le pacte d'actionnaires. Mais l'Allemagne a bloqué le projet, émettant des doutes sur sa logique.

Ces discussions ont toutefois mis en lumière les limites du pacte d'actionnaires qui a semblé condamné, même avant l'échec du projet de fusion.

Trois ou quatre semaines après le "nein" de la chancelière allemande Angela Merkel à la plus grande fusion du monde dans la défense, la crainte d'un effondrement du pacte et d'une offre involontaire sur l'ensemble du groupe a rapproché les parties.

Le DOSSIER BAE MIS DE CÔTÉ

Selon des responsables, François Hollande et Angela Merkel se sont rapidement mis d'accord sur les grandes lignes politiques, mettant de côté leurs divergences sur le dossier BAE et préservant la parité franco-allemande au sein d'EADS.

Pour éviter de franchir le seuil fatidique des 30% du capital fixé par la loi néerlandaise, il a été décidé que la France et l'Allemagne contrôleraient de fait 12% chacun d'EADS et l'Espagne 4%.

Sur des points techniques, cependant, les positions de Paris et Berlin étaient cependant très éloignées, selon une source proche des discussions, en particulier sur la composition du conseil d'administration. L'Allemagne insistait à l'origine pour avoir le droit de choisir ses candidats.

Le troisième et dernier acte a démarré au soir du vendredi novembre.

Pendant cinq jours, des négociateurs publics et privés ont pénétré par des portes dérobées dans des cabinets d'avocats derrière les Champs-Elysées, suivis par des livreurs de pizza et de sushi.

Signe de l'éventail des intérêts au sein de l'une des entreprises les plus stratégiques d'Europe, entre 40 et 50 personnes ont négocié autour d'une même table. Chacune des délégations discutait des tactiques dans une pièce à part.

Selon des témoins, Marwan Lahoud, responsable de la stratégie d'EADS et cerveau de l'offre sur BAE, a oeuvré pour nettoyer la gouvernance d'EADS et affirmé l'indépendance du groupe en insistant sur la volonté du groupe de déménager son siège à Toulouse.

L'Allemagne voyait alors d'un mauvais oeil le transfert du coeur du groupe dans la capitale européenne de l'aérospatiale.

Mais le coup décisif est venu de là où on ne l'attendait pas. Parce qu'EADS est enregistré aux Pays-Bas, chacune des parties négociant avait besoin d'un avocat néerlandais.

"A chaque fois qu'un nouveau point était abordé, les Néerlandais se mettaient à crier", se souvient un représentant d'une autre des nationalités. "Des participants se levaient alors et refermaient leurs dossiers en disant : 'ça suffit, je m'en vais'".

"Apparemment, d'autres points de la législation néerlandaise n'étaient pas clairs", glisse un autre représentant.

Un point est resté suffisamment clair, cependant, pour éviter que les discussions échouent : si le pacte d'actionnaires avait disparu sans un remplacement acceptable pour les autorités néerlandaises, les principaux actionnaires du groupe, dont l'Etat français, auraient dû lancer une offre de 22 milliards d'euros sur le groupe. Difficile à justifier en période d'austérité.

SPRINT FINAL

La pression pour parvenir était d'autant plus forte qu'EADS tenait une conférence avec les investisseurs à Londres le lundi 3 décembre. Ce soir-là, la situation était tellement tendue que les participants épuisés ont été renvoyés chez eux après un échange particulièrement musclé, selon des participants. D'autres ont dormi sur le sol de la bibliothèque du cabinet d'avocats.

L'accord a finalement pris forme mercredi 5 décembre, après l'arrivée du conseiller économique d'Angela Merkel, Lars-Hendrik Röller.

Marquant une avancée notable issue des discussions sur le projet avec BAE, Paris et Berlin ont accepté de loger les actifs militaires stratégiques au sein de sociétés spéciales de défense nationale supervisées par trois administrateurs, dont deux siègeront également au sein du principal conseil d'EADS.

Cette solution rappelle les "Special Security Agreements" créés aux Etats-Unis et pourrait servir de modèle pour une future consolidation du secteur de la défense en Europe, où les Etats renâclent à réduire leurs participations dans les groupes du secteur.

Selon des sources internes, ce sera à Tom Enders de nommer les trois administrateurs des entités nationales de défense. Tant que la liste ne contient aucune personne hostile aux intérêts de chacun des pays, les gouvernements français et allemands peuvent approuver ou refuser le triumvirat dans son ensemble, mais sans donner leur avis pour l'un ou l'autre des candidats.

Le processus dans son ensemble relèvera de l'équilibrisme.

"Ce sera un processus plus normal mais qui devra, de manière réaliste, traduire les souhaits du gouvernement dans une certaine mesure", note Nick Cunningham, d'Agency Partners. "C'est un changement qualitatif, mais tous les groupes de défense sont d'une certaine manière redevables à leurs gouvernements".

Avec Cyril Altmeyer, Leila Abboud, Noah Barkin et Elena Berton, édité par Jean-Michel Bélot

par Tim Hepher