Dans cet ouvrage, Muhammad Yunus veut montrer que des objectifs humanistes et altruistes peuvent « s'hybrider » avec une gestion du même type qu'une entreprise normale, c'est-à-dire soucieuse de viabilité financière, pour créer une structure particulière, qu'il appelle « social business ». La finalité de ce business d'un nouveau genre est de résoudre des problèmes sociaux, voire des calamités comme la faim dans le monde ou la pénurie d'eau potable.

Ce « social business » ne doit pas être assimilé à des œuvres caritatives (qui dépendent des dons), au mouvement coopératif (dont la finalité n'est pas sociale) ou à la responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui n'est rien d'autre qu'un vernis citoyen posé sur la recherche du profit.

Non, pour Yunus, la finalité ne doit plus être la maximisation du « rendement des fonds propres » (return on equity, ou ROE) mais l'amélioration de la situation sociale et économique du plus grand nombre. Selon notre banquier du troisième type, les Etats sont incapables de remplir cette fonction. Il n'oublie pas pour autant la recherche du profit : selon lui un social business réussi marche sur ses deux pieds, le profit et le social, indissociablement liés.

Le ver capitaliste est déjà dans le fruit...
Le succès de la Grameen Bank, créée dans les années 70 par Muhammad Yunus, montre que ce système peut fonctionner. Aujourd'hui, elle compte 8 millions d'emprunteurs et accorde 100 millions de dollars de prêts par mois, avec un taux de défaut dérisoire (2%) eu égard aux populations aidées.

Muhammad Yunus souligne également que le rôle du patron d'entreprise, dans son système, est compliqué, et qu'il lui faudra du temps pour bien comprendre la subtilité consistant à faire des profits pour le redistribuer. Au fur et à mesure, le risque existe que le profit prenne alors le pas sur le social, et Yunus en est conscient.

S'appuyant sur l'exemple des banques alimentaires, qui fonctionnent grâce aux surplus de l'ensemble de la chaine agroalimentaire, le banquier indien montre en outre que bons sentiments et efficacité ne font pas forcément bon ménage. Pourtant, les gens qui ont faim sont contents de manger gratuitement, tandis que les généreux donateurs sont heureux de faire le bien autour d'eux, d'autant que les dons en question sont souvent des produits invendables (abîmés ou à l'emballage défectueux).

Mais le temps a quelque peu grillé ce cercle vertueux, aux Etats-Unis notamment. Les donateurs ont ainsi commencé à vendre ces produits à prix cassé à des intermédiaires, plutôt que de les offrir aux banques alimentaires. Ces intermédiaires ont ensuite revendu leur marchandise à des supermarchés discount. Ces supposés invendables sont donc revenus dans la chaine capitaliste, car certains ont compris qu'ils pouvaient rapporter de l'argent.

Muhammad Yunus n'est pas une oie blanche, il sait parfaitement bien que la logique de profit peut venir gripper son « social business ». « Quand le profit et les besoins humains s'opposent, c'est généralement le profit qui gagne, et les hommes qui perdent », dit-il.