De l'avis de tous ceux qui l'ont côtoyé, Broad est à la fois un génie et un dictateur. Un professeur de Harvard qui a eu affaire à l'homme nous le résume ainsi : "personnellement, tout s'est bien passé avec Broad. Mais il est clair que si vous ne jouez pas le jeu avec lui, Eli n'hésitera pas à vous broyer"...

Devenu philanthrope et mécène, le septuagénaire ne s'est pas adouci pour autant. Lorsque sa fondation de 2,5 milliards de dollars accorde une subvention pour un projet, Broad attend des résultats et n'hésite pas à claquer la porte - ou mettre à la porte, le cas échéant - s'il estime que ses deniers ne sont pas utilisés à bon escient.

Sa générosité se dirige aussi bien vers les arts (son protégé Jeffrey Deitch va prendre la présidence du Muséum d'Art Contemporain de Los Angeles), que vers les œuvres sociales ou les projets scientifiques et universitaires.

Grand Manitou de l'art moderne
Omniprésent et hyperactif, Eli Broad est aussi... omnipotent, ce qui peut parfois poser problème. La responsable du Musée Hammer, dans la capitale californienne, a dû subir le départ fracassant de Broad de son conseil d'administration. Mais elle ne lui en veut pas : "le problème, ce n'est pas le comportement d'Eli. Le problème c'est qu'il faudrait d'autres "Eli" à Los Angeles pour compenser l'immense influence dont il dispose sur la ville".

En fait, on s'aperçoit que la générosité du bon Eli a quelque chose de... terrifiant ! En 2003, Broad lance un appel aux dons et promet lui-même 50 millions de dollars pour aider à la construction d'une nouvelle aile du Los Angeles County Museum of Art. Dans sa grande bonté, l'homme ajoute qu'il donnera plusieurs centaines d'œuvres de sa collection personnelle.

Dans le nouveau bâtiment, la direction du musée a très vite voulu organiser des spectacles, animations et expositions, à côté des sales réservées aux œuvres de la collection Broad. Eli n'a pas du tout apprécié ce crime de lèse-majesté : il a décidé que, puisqu'on n'accordait pas à ses œuvres la place qu'elles méritaient, il cesserait ses versements. Du coup, le milliardaire et le Musée sont au bord de porter l'affaire en justice, le conservateur demandant le paiement de 6 millions de dollars.

La générosité est une science
En fait, quand il donne de l'argent, Broad veut obtenir une évaluation chiffrée des résultats obtenus. S'ils ne sont pas à la hauteur, il s'en va, tout simplement. Autre exemple, la campagne lancée avec Bill Gates en 2008 pour sensibiliser les candidats à la présidentielle et les électeurs aux questions relatives à l'éducation. Les deux tycoons avaient promis de donner ensemble 60 millions de dollars pour Strong American Schools. Mais Broad avait imposé au directeur de communication de la campagne une méthode d'évaluation drastique : l'efficacité de la communication serait mesurée selon la surface que les journaux et magazines accorderaient à la campagne.

Pour certains observateurs, Eli Broad incarne parfaitement le modèle de l'action caritative en Californie. Souvent venus de loin, sans attache ancestrales dans la ville - à l'inverse de la côte Est - les Mécènes veulent en général que les choses fonctionnent à leur goût, avec en filigrane un farouche esprit d'entreprise.