"Nous connaissons aujourd’hui une extension prononcée des taux nominaux négatifs, quelque chose de très nouveau sur le plan historique…
Un tiers de l’univers des obligations d’Etats en euro ont un rendement négatif. La proportion monte à quasiment 50% s’agissant des emprunts de l’Allemagne. Il faut remonter à 5 ans de maturité sur la courbe des taux allemands pour repasser en territoire positif. Le taux à dix ans se situe à 0,80%, soit un niveau très bas.
L’eonia est resté négatif pendant plus d’un mois en octobre, un phénomène tout à fait inédit. Selon toute probabilité il devrait retourner en dessous de 0.

Quelles sont les principales raisons explicatives de cette anomalie ?
La politique très accommodante des grandes banques centrales, et l’achat massif des investisseurs de produits de taux. Les fonds obligataires ont encore énormément collecté cette année, en moyenne davantage que les fonds actions.
Les clients particuliers sont toujours très réticents au risque action.
Les fonds de pension occidentaux sont confrontés à une volatilité qui diminue, à un passif qui vieillit, et donc à un rapprochement de la date des engagements. Ces investisseurs institutionnels d’envergure sont alors contraints d’acheter plus d’obligations et de vendre plus d’actions. Ce processus s’inscrit sur le long terme et a vocation à s’amplifier. Les actualisations de flux futurs se faisant désormais avec des taux d’intérêt faibles, cela creuse les déficits des systèmes de retraite.
A cela s’ajoute les nouvelles normes réglementaires qui s’imposent aux compagnies d’assurances européennes avec Solvabilité II et aux banques européennes avec Bâle III. Ces normes donnent la primeur à l’investissement dans les titres obligataires et notamment les obligations souveraines au détriment des actions.

Cet environnement de taux très bas, voire négatifs, a vocation a perdurer ?
De multiples indices vont dans ce sens aujourd’hui, en effet.

A l’international, des règles pourraient être ajoutées pour les grandes banques américaines par la Fed pour les forcer à aller vers plus d’actifs liquides en contrepartie de la suppression de son programme de refinancement d’urgence utilisé en 2008.

En dépit de la normalisation de la politique monétaire de la Fed et d’un prochain relèvement de ses taux directeurs ?
Exactement.

A quelle suite des évènements vous attendez vous pour les taux de part et d’autre de l’Atlantique ?
Il est difficile de répondre avec précision à la question. Quasiment tous les observateurs de marché se sont trompés en début d’année. On s’attendait à une hausse des taux dans la foulée de la stratégie de sortie du programme de quantitative easing de la Fed. Or les taux ont poursuivi leur fléchissement jusqu’à atteindre de nouveaux records à la baisse.

Ceci étant, je pense qu’une distinction doit être faite entre l’évolution des taux aux Etats-Unis et dans la zone euro. Outre Atlantique la robustesse de la reprise et le redressement continu du marché de l’emploi devraient pousser la Fed à augmenter ses taux directeurs. Les taux monétaires américains devraient alors remonter. Nous devrions observer un aplatissement de la courbe des taux avec une moindre variation sur les taux longs que sur les taux courts et donc la réduction du gap, aujourd’hui de 250 points de base, entre les deux extrémités de la courbe.

Au sein de la zone euro, on peut légitimement penser que pour des raisons économiques et des raisons de flux, une hausse des taux monétaires n’est pas à l’ordre du jour ce d’autant plus que se dessine de plus en plus une anticipation sur le marché d’un quantitative easing de la BCE, autrement dit vaste programme d’achat d’emprunts d’Etat.
Aussi, nous voyons les taux si ce n’est encore reculer au mois se stabiliser. Dernièrement les spreads sur les taux des Etats périphériques se sont quelque peu élargis.
A priori, une tension pourrait se manifester uniquement si l’on avait de nouvelle crainte de la part des investisseurs sur une nouvelle crise dans la zone euro. Mais ce n’est pas notre scénario central.

Quels effets perturbateurs dénote-t-on aujourd’hui de l’existence de ces taux négatifs ?
Ces taux négatifs retirent, entre autres effets, de l’intérêt à de nombreux produits d’épargne fondamentaux pour les particuliers comme l’assurance vie en euro et le livret A en France.
Il y a quelques jours, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France a mis en garde les assureurs sur les taux servis dans leurs contrats d’assurance vie en euro. Si la baisse s’avère significative, cela n’ira pas sans poser des difficultés pour les épargnants qui a ce jour ne veulent toujours pas se rediriger vers les contrats en unités de compte.

Parallèlement, le rendement offert par le livret A étant descendu à 1%, les rachats dans ce produit d’épargne ne cessent de s’intensifier au fil des mois.

Un risque est également palpable sur le segment des fonds monétaires qui fait plusieurs milliers de milliards d’euros ?
Absolument. Dans les fonds monétaires les porteurs avaient l’habitude de récupérer au moins leur mise de départ. Il n’y avait pas de risque de capital. Avec les taux négatifs, tel n’est plus le cas.

Ce sujet est pris très au sérieux par les autorités de tutelle dans la mesure où les fonds monétaires ont su devenir un vecteur important de financement de l’économie du fait de la contraction des bilans bancaires. Avoir des vagues de rachat importantes sur ces fonds monétaires pendant un laps de temps significatif serait une véritable menace pour la stabilité financière.

Quel est l’importance de ce risque ?
La probabilité de rachats massifs et simultanés sur les fonds monétaires reste limitée, mais, si l’événement se réalisait, ses conséquences seraient nombreuses et importantes. En 2007, un signe avant coureur de la crise financière avait été l’incapacité de quelques sociétés de gestion à répondre aux demandes de rachat de parts d’investisseurs dans les fonds monétaires qui contenaient des ABS et autres actifs titrisés.

C’est ce qui explique que le Financial Stability Board soit en alerte. En l’absence de rémunération, la tendance au rachat a gagné en intensité. Jusque là tous les rachats sont honorés en temps et en heure.
La question est de déterminer de quelle manière il est possible de protéger la valorisation de ces fonds et ce qu’il est envisageable de faire si cette valorisation venait à s’affaiblir. Un des moyens d’y parvenir pourrait être d’imposer dans les prospectus des limites d’acceptation des rachats pour une durée donnée. C’est ce qui est prévu pour les hedge funds.

Toutefois, parvenir à une telle contrainte serait paradoxale car les fonds monétaires sont des fonds par nature liquides.

Ces fonds monétaires ne peuvent-ils par s’efforcer de générer des rendements plus importants ?
En l’absence de rendement, beaucoup de fonds monétaires ont abandonné les frais de gestion afin de ne pas pénaliser davantage les porteurs de parts.
Il y a ensuite deux manières pour les fonds monétaires de procurer un rendement plus élevé : descendre dans les notations et allonger les maturités.
Ces deux voies ne sont pas forcément praticables pour beaucoup d’investisseurs utilisateurs de ces fonds. Il n’est pas toujours permis réglementairement d’aller dans des notations plus dégradées. Le titre monétaire ressemblant a de l’obligation doit être valorisé en mark to market. L’investisseur subit les fluctuations à la hausse ou à la baisse des taux d’intérêt.

De quelle manière convient-t-il de faire face à cet environnement de taux négatifs ?
Une des solutions vers laquelle les investisseurs se dirigent massivement réside dans la diversification des fonds dans plusieurs classes d’actifs avec un contrôle du risque et une préservation du capital.
"