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par Trevor Hunnicutt, Susan Heavey et Andrea Shalal

WILMINGTON, Delaware/WASHINGTON, 8 novembre (Reuters) - Au lendemain de sa victoire à l'élection présidentielle américaine, le démocrate Joe Biden a travaillé dimanche avec ses conseillers à la façon de régler la crise du coronavirus aux Etats-Unis tout en insistant sur la nécessité d'unifier un pays polarisé à l'extrême après quatre années de présidence Trump.

Donald Trump, premier président américain en exercice à ne pas obtenir sa réélection en 28 ans, n'a pour sa part laissé entrevoir aucune volonté de concéder sa défaite alors que se poursuivait sa campagne de recours juridiques contre le résultat de l'élection.

Illustrant les défis qui attendent Joe Biden après son entrée en fonction le 20 janvier, les principaux membres républicains du Congrès n'ont en outre toujours pas reconnu la victoire de l'ancien vice-président de Barack Obama.

Lors d'un discours prononcé à Wilmington, dans l'Etat du Delaware, où il réside et où siégeait son équipe de campagne, Joe Biden s'est lui-même proclamé samedi soir 46e président des Etats-Unis et a livré un message d'unité et de conciliation en déclarant qu'il était "temps de guérir" la nation et en tendant la main aux Américains qui ont voté pour Trump ainsi qu'aux républicains du Congrès.

"Le peuple de cette nation a parlé. Il nous a donné une victoire claire, une victoire convaincante", a-t-il dit.

"Je promets d'être un président qui ne cherche pas à diviser mais à unifier, qui ne voit pas d'Etats rouges et d'Etats bleus, mais ne voit que les Etats-Unis", a poursuivi Joe Biden alors que les chaînes d'information diffusaient continuellement des cartes du pays colorées de rouge et de bleu - les couleurs traditionnelles du Parti républicain et du Parti démocrate.

"Le travail commence tout de suite", a pour sa part déclaré dimanche sa directrice adjointe de campagne, Kate Bedingfield, lors du programme "Meet the Press" de NBC.

Alors que Joe Biden a clairement indiqué que la lutte contre la pandémie de coronavirus était la première de ses priorités, Kate Bedingfield a dit qu'il prévoyait de lancer lundi un groupe de travail sur le sujet, dirigé par l'ancien administrateur de la santé publique des États-Unis Vivek Murthy et l'ancien commissaire de la "Food and Drug Administration" David Kessler.

"FAIRE BAISSER LA TEMPÉRATURE"

Plus de 237.000 Américains sont décédés du COVID-19 et les cas enregistrés par le pays ont atteint un nombre record ces derniers jours.

Joe Biden a promis d'améliorer l'accès aux tests et, contrairement à Donald Trump, de tenir compte des conseils des principaux responsables de la santé publique et des scientifiques.

Quelque 10 millions d'Américains mis au chômage pendant les confinements décidés pour freiner le coronavirus restent inactifs alors les programmes de soutiens fédéraux ont expiré.

Sans jamais mentionner le nom de son adversaire, Joe Biden s'est aussi adressé samedi aux 70 millions d'électeurs qui ont voté pour le président sortant et a prôné une politique de coopération bipartisane.

"Pour tous ceux qui ont voté pour le président Trump, je comprends leur déception ce soir. J'ai moi-même perdu quelques fois. Mais à présent, donnons une chance à chacun d'entre nous. Le moment est venu de repousser les discours agressifs, de faire baisser la température, de nous regarder et de nous écouter à nouveau. Et pour progresser, nous devons cesser de traiter nos adversaires comme nos ennemis. Ils ne sont pas nos ennemis. Ils sont des Américains", a-t-il dit.

"La Bible nous enseigne qu'il y a une saison pour tout, un temps pour construire, un temps pour récolter et un temps pour semer, et un temps pour guérir. Le moment est venu de guérir en Amérique."

Il aura fallu attendre près de quatre jours entiers pour connaître l'issue de l'élection du 3 novembre, la faute à un dépouillement interminable dans certains Etats clefs comme la Pennsylvanie en raison du recours massif au vote par correspondance ou par anticipation, risque sanitaire oblige.

UNE MAJORITÉ OBTENUE GRÂCE À LA PENNSYLVANIE

Samedi en fin de matinée à l'heure de Washington, peu avant 16h30 GMT, les grands réseaux de télévision et l'agence Associated Press ont annoncé que les 20 grands électeurs de Pennsylvanie donneraient à Joe Biden la majorité requise au collège électoral.

L'ancien vice-président de Barack Obama a alors été déclaré président-élu des Etats-Unis. Le candidat démocrate, qui aura 78 ans le 20 novembre, deviendra deux mois plus tard le président le plus âgé à sa prise de fonction.

Donald Trump, qui jouait au golf lorsque les principales chaînes américaines ont annoncé la victoire de son adversaire, a refusé de concéder sa défaite.

"Cette élection est loin d'être terminée", a affirmé le président républicain sortant, dont les équipes ont engagé plusieurs recours dans l'espoir d'obtenir que les tribunaux invalident sa défaite dans les urnes.

"Nous savons tous pourquoi Joe Biden se précipite pour se faire passer à tort pour le vainqueur, pourquoi ses alliés médiatiques font tant d'efforts pour l'aider; ils ne veulent pas que la vérité soit dévoilée", a poursuivi Donald Trump.

Dimanche, il a de nouveau joué au golf et dénoncé "une élection volée" sur Twitter, sans apporter davantage de preuves à ses affirmations, que les autorités en charge du scrutin n'ont d'ailleurs jamais étayées.

En félicitant rapidement Joe Biden, de nombreux dirigeants de la planète, dont le président français Emmanuel Macron, la chancelière allemande Angela Merkel, le Premier ministre britannique Boris Johnson et le Premier ministre canadien Justin Trudeau, ont peut-être rendu plus difficile pour Donald Trump de répéter ses allégations de fraudes, ainsi qu'il l'a fait tout au long du dépouillement.

AVEC KAMALA HARRIS, UNE BARRIÈRE TOMBE

A mesure que l'information de la victoire de Joe Biden et de sa vice-présidente, Kamala Harris, se propageait, des manifestations de joie se sont multipliées dans plusieurs villes à travers le pays.

Mais comme un rappel des profondes divisions du pays, des partisans de Donald Trump ont organisé des manifestations réclamant d'"arrêter le vol" devant les capitoles des Etats du Michigan, de la Pennsylvanie et de l'Arizona.

"Ça me dégoûte, ça me rend triste", dit Jayla Doyle, 35 ans, qui dirige un pub dans la petite ville de Mifflintown en Pennsylvanie. "Je pense que l'élection a été truquée", ajoute-t-elle.

Elu pour la première fois au Sénat des Etats-Unis en 1972, Joe Biden, qui a la réputation solidement établie d'être dans l'empathie et d'un abord simple, va devoir s'employer pour refermer les plaies et les divisions d'une société tourmentée qui s'est polarisée autour de la figure clivante de Donald Trump, protecteur des intérêts du pays pour les uns, menace contre la démocratie pour les autres.

Face à lui se présente, outre la difficile mission de gouverner un pays ravagé par le coronavirus, le défi de répondre aux manifestations et contre-manifestations contre les discriminations raciales et les violences policières.

Avec lui arrive à la Maison blanche Kamala Harris, la première femme élue à la vice-présidence des Etats-Unis.

Née d'un père jamaïcain et d'une mère indienne, la sénatrice démocrate de Californie est aussi la première femme noire et a première femme d'ascendance indienne à occuper ce poste, au deuxième rang dans la hiérarchie du pouvoir.

"Qu'il ait eu l'audace de briser l'une des barrières les plus solides qui existe dans notre pays en choisissant une femme pour être sa vice-présidence est un témoignage de la personnalité de Joe", a-t-elle dit à Wilmington dans son discours de présentation du futur président.

STRATÉGIE GAGNANTE

La victoire de Joe Biden valide sa stratégie bâtie sur quatre axes: retrouver le vote ouvrier qui avait fait cruellement défaut à Hillary Clinton en 2016, remobiliser l'électorat noir, tirer parti du rejet violent de Donald Trump par une large partie de la population épuisée par les polémiques permanentes attisées par l'ex-magnat de l'immobilier et proposer face à la pandémie de coronavirus une politique radicalement différente de celle de l'administration sortante.

L'ancien vice-président et les démocrates n'auront toutefois pas obtenu le raz-de-marée qu'ils espéraient aux élections législatives qui se tenaient le même jour que la présidentielle pour renouveler la totalité de la Chambre des représentants et 35 sièges du Sénat.

Cela pourrait compliquer la réalisation des promesses de campagne de Biden de "corriger" en partie l'héritage laissé par Donald Trump, qu'il s'agisse de baisses d'impôts ayant particulièrement profité aux entreprises et à la classe aisée, de politiques très strictes en matière d'immigration, ou encore l'abandon d'accords internationaux comme celui de Paris sur le climat ou celui sur le programme nucléaire iranien.

Si les républicains venaient à conserver le contrôle du Sénat, ils devraient vraisemblablement s'opposer à d'importantes politiques voulues par Joe Biden, en premier lieu sur l'assurance maladie et le changement climatique.

Donald Trump, 74 ans, devient lui le premier président sortant à échouer à être réélu depuis son pair républicain George H.W. Bush en 1992.

Mais il n'est pas certain que l'issue du dépouillement sera le clap de fin de l'ascension politique fulgurante de cet homme qui, avant son triomphe de 2016, n'avait jamais concouru à la moindre élection.

L'ex-magnat de l'immobilier et présentateur de télévision a fait le plein dans les petites villes et les comtés ruraux où son discours nationaliste et ses positions sur l'avortement, les droits de la communauté LGBT ou le port d'arme, portent le plus.

Dans quatre Etats, représentant au total 45 grands électeurs, l'issue du scrutin n'est pas encore connu. Il s'agit de l'Arizona (11), de la Caroline du Nord (15), de la Géorgie (16) et de l'Alaska (3).

Les 538 grands électeurs du Collège électoral désignés Etat par Etat se réuniront pour élire le 14 décembre prochain le président. L'ensemble des recours portés devant les tribunaux par l'équipe Trump devra avoir été réglé avant cette date.

La date d'investiture est fixée elle au 20 janvier.

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(Avec Steve Holland et Jeff Mason ; Michael Martina à Detroit, Michigan, Mimi Dwyer à Phoenix, Arizona, Jarrett Renshaw à Philadelphie, Jan Wolfe à Boston et Doina Chiacu, Alexandra Alper, Raphael Satter, Makini Brice, Aram Roston, Susan Cornwell et Richard Cowan à Washington version française Jean Terzian, Blandine Hénault, Benjamin Mallet, Jean-Stéphane Brosse et Henri-Pierre André)