Paris estime que les critiques, mises partiellement sur le compte de la campagne pour les élections de 2013 en Allemagne, se dissiperont lorsque Berlin aura toutes les cartes en main pour juger du bien-fondé de la politique française.

Le président français a d'abord voulu rassurer les marchés financiers - et l'Allemagne - en martelant depuis son élection que l'objectif d'un déficit public de 3% du PIB en 2013 sera atteint coûte que coûte, mais Berlin ne semble pas convaincu, pas plus, d'ailleurs, que la Commission européenne.

Au-delà de l'orthodoxie financière, c'est sur sa capacité à réformer l'économie que le président doit convaincre ses partenaires allemands, qui insistent sur la nécessité de réduire la dépense publique française et de pratiquer des réformes structurelles, notamment du marché du travail.

Les propos très durs tenus la semaine dernière par l'économiste Lars Feld, l'un des cinq "sages" allemands dont les avis font autorité, sonnent comme un avertissement.

"Le principal problème en ce moment, ce n'est plus la Grèce, l'Espagne ou l'Italie, c'est devenu la France parce qu'elle n'a rien entrepris de nature à rétablir sa compétitivité, au contraire, elle va dans l'autre direction !", a-t-il dit.

Le gouvernement français explique que tout cela ne tient pas compte du pacte de compétitivité de 20 milliards d'euros annoncé la semaine dernière, qui sera financé pour moitié par une réduction de la dépense publique et pour moitié par une hausse de la fiscalité, essentiellement de la TVA.

"La confiance existe", veut croire l'entourage d'un François Hollande qui n'affiche publiquement aucune inquiétude sur son partenariat avec l'Allemagne d'Angela Merkel.

LES CHOSES VONT BIEN, DIT MOSCOVICI

Le ministre français de l'Economie, Pierre Moscovici, a estimé lundi lors d'une conférence à Paris que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault pourra dissiper tout malentendu éventuel lors de sa rencontre jeudi à Berlin avec Angela Merkel.

Pour lui, "en réalité, non, les choses vont bien entre la France et l'Allemagne, vont bien entre le président et la chancelière, vont bien entre les ministres".

Jean-Marc Ayrault aura l'occasion "de faire toutes les précisions qui sont nécessaires", a-t-il souligné en se disant certain que "nos amis allemands ont compris l'effort de maîtrise des finances publiques que nous avons entrepris".

"Quant au 'French bashing', cette tentation qui peut exister de présenter la France comme l'homme malade de l'Europe, la prochaine cible, de pointer je ne sais quel malentendu fictif entre la France et l'Allemagne, ça peut être une tendance d'une certaine presse, ça ne correspond pas à une réalité", a indiqué Pierre Moscovici, sans relever que c'est Lars Feld qui s'y livre et, en privé, nombre de responsables allemands.

"Qu'on attende outre-Rhin des réformes structurelles chez nous, c'est naturel. Mais quand elles sont faites, avançons ensemble et ne laissons pas brouiller les messages", a-t-il dit.

Pour Paris, l'évocation par la presse d'une possible expertise demandée par le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble sur un décrochage économique de la France, formellement démenti par les "sages" qui sont censés s'y atteler, n'est qu'une manoeuvre de politique intérieure.

"C'est un épouvantail lié à la campagne électorale en Allemagne, on dit aux Allemands : 'si vous votez SPD (social-démocrate), ce sera comme en France, et ensuite comme en Grèce", juge une source diplomatique française.

D'AUTRES DOSSIERS CHAUDS

François Hollande ne rate d'ailleurs pas une occasion d'expliquer qu'il est d'un autre bord politique que la chancelière et n'hésite pas à se poser en défenseur des pays qui seraient écrasés par l'austérité imposée par l'Allemagne, ce qui attiserait les attaques des conservateurs au pouvoir.

D'autant plus qu'en pleine célébration de l'année franco-allemande et à quelques semaines du 50e anniversaire du Traité de l'Elysée, le 22 janvier 2013, les deux partenaires ont d'autres sujets qui fâchent à régler.

La France et l'Allemagne se sont, selon les Echos, donné un mois pour décider d'un nouveau pacte d'actionnaires d'EADS, des discussions qui interviennent alors que se dispute encore la responsabilité de l'échec de la méga-fusion prévue entre EADS et le groupe de défense britannique BAE.

Toutes les sources consultées affirment que le rapprochement a échoué en raison du ressentiment croissant de l'Allemagne, qui considère qu'elle perd de l'influence au sein d'EADS au profit de la France, parfois vue comme une rivale.

"Nous avons déjà un déséquilibre en termes de technologies au sein d'EADS qui bénéficie aux Français. Nous ne voulions pas aggraver encore la situation par un mariage avec BAE", confiait récemment un haut responsable allemand à Reuters.

Après de difficiles négociations sur l'Union bancaire pour stabiliser la zone euro, les discussions qui débutent en vue de finaliser le budget de l'UE de 2014 à 2020 risquent aussi de donner lieu à des tensions entre les deux capitales.

Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne tenteront à l'occasion de leur sommet des 22 et 23 novembre, de s'entendre sur ce dossier, la France défendant le maintien des aides de la Politique agricole commune.

Enfin, l'avenir de l'UE divise les deux dirigeants.

Angela Merkel a proposé un bond fédéral que François Hollande, qui lui oppose la notion d'intégration solidaire, n'est pas pressé de faire dans les conditions actuelles.

Dans ce contexte de tensions, c'est Jean-Marc Ayrault qui monte en première ligne en se déplaçant en Allemagne cette semaine ou encore en recevant à Paris ce lundi le président du conseil italien Mario Monti.

Dans l'entourage de François Hollande, on dit qu'il ne faut pas s'étonner d'une "distribution des rôle qui fait que le Premier ministres peut recevoir des personnalités indépendamment du Président de la République".

Elizabeth Pineau, Jean-Baptiste Vey, Yann Le guernigou, Julien Ponthus, édité par Yves Clarisse