* Une rapporteure spéciale de l'Onu interpelle la France

* Le gouvernement sommé de s'expliquer sous deux mois

* A-t-il aidé à la remise de détenus à l'Irak ?

* "Pure spéculation", répond la diplomatie française (Actualisé avec communiqué et réponse d'Agnès Callamard sur Twitter, §§ 5 et 11-12)

PARIS, 12 août (Reuters) - Le Quai d'Orsay a qualifié lundi de "pure spéculation" les observations d'une rapporteure spéciale de l'Onu à propos de l'implication éventuelle de la France dans le transfert de djihadistes du nord-est de la Syrie vers l'Irak.

La rapporteure spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Agnès Callamard, a interpellé le gouvernement français à ce sujet via une lettre officielle, datée de lundi et révélée par Le Monde et Le Figaro.

La juriste française y pose la question du rôle qu'a pu jouer la France dans le transfert de certains de ses ressortissants depuis les zones contrôlées par les forces kurdes en Syrie vers l'Irak, où ces détenus encourent la peine de mort en raison de leur appartenance présumée à l'Etat islamique (EI).

De fait, onze Français, capturés en Syrie par les Forces démocratiques syriennes (FDS) puis remis aux autorités irakiennes en février dernier, ont depuis lors été condamnés à la peine capitale.

Le courrier d'Agnès Callamard concerne seulement sept condamnés, tous des hommes, qui "auraient subi des tortures ou d'autres formes de mauvais traitements" en Irak et subi des "procès inéquitables", selon les soupçons de la rapporteure, citée dans un communiqué de ses services.

La participation des autorités à ces transferts, si elle était établie, serait contraire aux engagements de la France, précisément parce que la peine de mort est pratiquée en Irak.

"Les allégations formulées par Mme Agnès Callamard ne reposent sur aucun échange préalable avec les autorités françaises, comme le prévoient pourtant les procédures spéciales du Conseil des droits de l'Homme", a réagi le porte-parole adjoint du ministère français des Affaires étrangères lors d'un point de presse électronique.

RÉACTION "CHOQUANTE"

"Elles ne sont nullement étayées, relèvent de la pure spéculation et n'engagent qu'elle", a-t-il poursuivi, ajoutant que les "commentaires" des rapporteurs spéciaux des Nations unies étaient signés de leur seul nom.

Le porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères réitère par la même occasion la position officielle de la France : les "ressortissants français adultes, hommes et femmes, ayant rejoint Daech pour combattre au Levant (...) doivent être jugés au plus près des lieux où ils ont commis leurs crimes."

"Les autorités irakiennes savent que la France est opposée, en tous lieux et en toutes circonstances, à la peine de mort, et qu’elle demande à ce que les sentences de mort ne soient pas appliquées", est-il précisé.

La réaction du Quai d'Orsay a suscité la colère d'Agnès Callamard sur Twitter.

La rapporteure a fustigé l'approche selon elle "choquante" de la France qui, en attaquant ses méthodes de travail sans répondre sur le fond, se comporte comme "certains Etats qui n'ont ni sa tradition (ni sa) gouvernance democratique".

Selon Le Monde, Agnès Callamard donne deux mois au gouvernement français pour lui répondre et éclaircir ainsi "les vastes zones d'ombre qui subsistent".

"L’implication de la France me paraît crédible, si ce n'est très crédible, au regard des éléments qui m’ont été apportés, aussi bien les récits des djihadistes présumés à leurs familles et avocats, qui disent avoir vu des officiels français lors de leur transfert, que ceux de plusieurs sources sans rapport entre elles en Syrie et en Irak", déclare-t-elle au quotidien.

Le sort des djihadistes partis combattre dans les rangs de l'EI pose une question épineuse aux pays d'origine, la France notamment, qui rechignent à les voir revenir sur leur sol.

Paris réfléchit à la création d'un tribunal spécifique pour juger ces prisonniers, a fait savoir il y a deux mois la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, tout en précisant qu'il s'agissait d'une simple "hypothèse". (Simon Carraud avec John Irish, édité par Matthieu Protard)