* Les manifestants crient "le peuple veut la chute du régime"

* L'Assemblée constituante suspend ses travaux

* La violence s'accroît dans le pays (Actualisé avec précisions, citations, réactions)

par Tarek Amara

TUNIS, 6 août (Reuters) - Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté mardi soir dans le centre de Tunis pour réclamer le départ du gouvernement dirigé par les islamistes, manifestation d'opposition la plus importante depuis le début de la crise politique dans le pays il y a deux semaines.

L'opposition, en colère après deux assassinats dans ses rangs, réclame la démission du gouvernement d'Ali Larayedh, issu du parti islamiste Ennahda, ainsi que la dissolution de l'Assemblée constituante qui a pratiquement terminé de rédiger le projet de constitution et la nouvelle loi électorale.

Les chefs de file de l'opposition sont galvanisés par l'exemple de l'Egypte, où le président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, a été déposé le 3 juillet par l'armée malgré sa large victoire électorale un an plus tôt.

La Tunisie traverse sa crise la plus grave depuis le renversement du régime autoritaire du président Zine el Abidine ben Ali, crise renforcée par une instabilité croissante due aux attaques de plus en plus fréquentes des activistes islamistes.

Ce rassemblement de mardi intervient près de deux semaines après l'assassinat, le 25 juillet, du député laïque Mohamed Brahmi et six mois jour pour jour après le meurtre de Chokri Belaïd, autre grande figure de l'opposition laïque.

"Le peuple veut la chute du régime", criait la foule rassemblée mardi sur la place Bardo, reprenant le slogan popularisé lors de la chute de Ben Ali en 2011.

Samedi soir, une manifestation en faveur du gouvernement avait réuni 150.000 personnes selon ses organisateurs. (voir )

Mardi, les manifestants étaient très nombreux mais pas autant que ceux de la manifestation des pro-Ennahda, selon les estimations d'un journaliste de Reuters sur place.

Dans un autre mouvement surprise, le président de l'Assemblée nationale constituante (ANC) a annoncé la suspension des travaux de la chambre mardi soir, au tout début de la manifestation. Il a dit que l'Assemblée ne se réunirait plus tant qu'il n'y aurait pas l'ouverture d'un dialogue entre le gouvernement et l'opposition laïque.

Moustapha ben Jaafar, dont le parti Ettakatol est membre de la coalition au pouvoir, a expliqué sa décision au nom des intérêts du pays "dans le but de garantir sa transition vers la démocratie".

"COUP D'ETAT INACCEPTABLE"

Cette suspension est un "coup d'Etat inacceptable" de Mustafa Ben Jaafar a déclaré un membre de l'ANC appartenant à Ennahda.

"Ce que Ben Jaafar a fait partie d'un coup d'Etat interne. C'est un coup d'Etat inacceptable", a déclaré Nejib Mrad à la chaîne de télévision Al Moutaouassit.

A minuit passé, les manifestants continuaient d'affluer par centaines. Des feux d'artifices ont été lancés. Des élus d'opposition sont montés sur une estrade dressée au milieu de la foule, en faisant le signe de la victoire. Ils ont été acclamés.

L'imam de la mosquée Zaitouna, située dans la vieille ville, est également monté sur la scène pour lire des versets du Coran. Les dirigeants de l'opposition espèrent ainsi envoyer un message clair : ils sont contre Ennahda, pas contre l'islam.

"Dieu est grand", a crié la foule en réponse à l'imam.

"Nous ne bougerons pas tant qu'ils (Ennahda) ne nous laisseront pas tranquilles", affirme Warda Habibi, une manifestante. "Nous n'avons pas eu peur de Ben Ali et nous n'avons pas peur de Ghannouchi."

Lundi, le président d'Ennahda, Rachid Ghannouchi, a exclu le départ du Premier ministre et la dissolution de l'ANC dans un entretien accordé à Reuters, mais il s'est dit favorable à la tenue d'un référendum et à des discussions avec ses adversaires.

Commentant la foule réunie mardi soir place Bardo, Mongy Rahoui, un dirigeant Front populaire, une coalition de partis d'opposition, a déclaré : "Ces foules par légion sont une réponse à Ghannouchi et nous lui disons que nous sommes prêts pour un référendum (...) Nous sommes ceux avec la légitimité de la rue. Votre légitimité est une contrefaçon."

Parallèlement, la police a fort à faire avec la montée de violences attribuées aux islamistes depuis l'assassinat de Brahimi. Mardi soir, la police a abattu un activiste islamiste à Raoued, une banlieue de Tunis, a-t-on appris auprès du ministère de l'Intérieur.

D'après l'agence de presse officielle Tap, il a été tué par des policiers de la brigade antiterrorisme qui l'avaient pris en chasse et sur lesquels il a ouvert le feu.

Dimanche, un militant islamiste a été tué par la police à Tunis et quatre autres arrêtés. Le 29 juillet, huit militaires avaient été tués par des activistes près de la frontière algérienne. (Henri-Pierre André et Danielle Rouquié pour le service français)