par Marc Angrand

Ce contraste n'est pas inhabituel en phase de reprise. Mais à quinze mois de l'échéance présidentielle de 2012, l'enjeu est de taille, tant sur le plan économique que politique.

D'autant que la consommation, pilier de la reprise en 2010 avec la demande étrangère, est exposée au triple risque de la fin de la prime à la casse automobile, de la hausse des prix et du débat sur la réforme de la fiscalité.

Comme l'explique Laurence Boone, économiste de Barclays Capital, dans une étude publiée jeudi, "l'une des questions clés pour la vigueur de l'économie française sera de savoir si le marché du travail commencera à s'améliorer suffisamment vite pour que la consommation reste un moteur en dépit du resserrement budgétaire".

La persistance d'un chômage élevé, qui figure toujours, et de loin, au premier rang des préoccupations des Français, explique en partie la petite baisse de la confiance des ménages en janvier annoncée jeudi par l'Insee.

Et elle s'inscrit à contre-courant des signes d'amélioration conjoncturelle observés ces dernière semaines: la confiance des chefs d'entreprise, elle, a fortement progressé ces dernières semaines, remontant à son meilleur niveau depuis mars 2008.

LATENCE

"Pour la plupart des gens, ce qui montre si l'économie marche c'est le fait que le voisin ou le fils a du boulot ou pas", résume l'homme d'affaires Jean-Luc Petithuguenin, président de Paprec, un spécialiste du recyclage de déchets qui a augmenté ses effectifs de 50% depuis le début de la crise.

Pour expliquer leur optimisme, certains patrons français mettent en avant le dynamisme de la demande étrangère, allemande notamment, comme l'explique Alexandre Zapolsky, PDG de Linagora, une PME de 150 personnes spécialisée dans les logiciels libres.

"J'ai confiance dans l'économie européenne parce que j'ai confiance dans l'économie allemande", résume-t-il.

Mais il évoque aussi les dispositifs qui ont permis aux entreprises françaises de reprendre confiance après la crise, comme le crédit impôt recherche, "extrêmement efficace", les projets liés au grand emprunt, ou les soutiens apportés par Oséo, la banque de financement des PME.

"Il y a bien sûr un effet de latence qui fait que ça ne se retrouve pas encore dans le moral des salariés, que ceux-ci ne voient pas encore les choses arriver", reconnaît-il. "Mais on va dans le bons sens."

Philippe Mattia, président de Maya Technologies, une société d'ingénierie de microélectronique qui a débuté 2011 en bouclant une acquisition, constate lui aussi que "les gens restent très frileux".

"Le consommateur lambda n'a pas encore perçu les effets immédiats de la reprise. On est clairement sur une fin de crise, mais je comprends les inquiétudes", souligne-t-il.

"Cela s'explique aussi par le fait que les politiques ont un discours macroéconomique forcément en décalage avec la réalité ressentie et qui, sans être de mauvaise foi, n'est pas forcément rassurant quand les gens ne s'y retrouvent pas."

"DÉPRIME"

Maya et Linagora prévoient une nette hausse de leur chiffre d'affaires comme de leurs effectifs en 2011.

Dans l'artisanat comme chez le consommateur final, la reprise pointe son nez mais peine encore à convaincre.

Selon l'Union professionnelle artisanale, le chiffre d'affaires de l'artisanat et du commerce de proximité a renoué avec la croissance fin 2010 après sept trimestres de contraction. Pour autant, seuls 14% des entreprises du secteur prévoient une hausse d'activité pour les prochains mois, alors que 24% anticipent une baisse.

"Dans cette période économique difficile, avec le ressenti de nos compatriotes, souvent justifié en terme de baisse ou de non-évolution des revenus, il est clair que les dépenses en matière de services ne sont pas prioritaires", déclare Pierre Martin, qui gère quatre salons de coiffure en Bourgogne.

"Pendant la crise, la fréquentation des salons a baissé et la 'fiche' moyenne s'est effondrée, certaines prestations techniques plus onéreuses ont été moins demandées. Et ça ne s'est pas encore amélioré", ajoute celui qui est aussi président de la fédération coiffure de l'UPA.

Jean-Luc Petithuguenin, de Paprec, estime que "la France fait une vraie déprime depuis 30 ans".

"Je suis persuadé que si on demandait à mes salariés si la France va bien, ils répondraient non. Mais si on leur demandait comment va leur entreprise, ils diraient qu'elle va très bien! A un moment, il faudra bien que ce pays reprenne confiance en lui."

Édité par Yves Clarisse