par Nick Tattersall

ISTANBUL, 4 janvier (Reuters) - Le président turc Abdullah Gül a exhorté vendredi soir la justice à rester impartiale dans l'enquête en cours sur la vaste affaire de corruption qui ébranle le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan depuis la mi-décembre.

L'existence d'un "Etat dans l'Etat" ne sera pas tolérée, a-t-il ajouté en allusion au rôle prêté dans cette affaire à la confrérie de Fethullah Gülen, un prédicateur exilé aux Etats-Unis qui aurait des relais au sein de la police et de la justice turques.

Gül a également indiqué qu'il ne saurait y avoir de tolérance pour la corruption.

Le scandale, qui a éclaté le 17 décembre, a conduit à la démission de trois ministres et fragilise comme jamais depuis son arrivée au pouvoir, en 2002, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan à l'approche d'importantes échéances électorales.

Après trois mandats à la tête du gouvernement, Erdogan ne pourra briguer de nouveau le poste de Premier ministre lors des élections législatives programmées pour l'instant pour 2015 et on s'attend à ce qu'il se porte par conséquent candidat à la présidence en août prochain.

Le chef du gouvernement islamo-conservateur a répliqué en affirmant que cette enquête était un complot ourdi par des "forces obscures" soutenues par l'étranger et visant à saper son influence et à nuire aux succès de la Turquie.

"L'Histoire n'oubliera pas ceux qui se sont laissés entraîner dans ce jeu", a-t-il prévenu lors de ses voeux du nouvel an, appelant ses 76 millions de compatriotes "à défendre la démocratie et à s'opposer à ces attaques répugnantes".

"Tout comme les incidents du parc Gezi se dissimulaient sous le masque d'arbres, de parcs et d'environnement, le complot de 17 décembre avance dissimulé sous le masque de la corruption", a-t-il poursuivi en établissant un lien avec les manifestations du printemps dernier contre un projet d'urbanisation dans le centre d'Istanbul qui avaient tourné à la remise en cause des pratiques jugées autoritaires du pouvoir en place.

"RECEVOIR DES ORDRES D'AILLEURS N'EST PAS ACCEPTABLE"

Erdogan a également relevé de leurs fonctions plus de 70 policiers participant à l'enquête, dont le chef de la police d'Istanbul.

Son vice-Premier ministre, Ali Babacan, a évoqué pour sa part une "tentative de mini-coup d'Etat". (voir )

L'affaire vise notamment des malversations et des détournements de fonds présumés dans le cadre de vastes projets d'immobilier et de construction et implique la banque publique Halk.

Mais le scandale est aussi interprété comme un affrontement entre le Parti pour la justice et le développement (AKP), la formation d'Erdogan, et les fidèles du prédicateur en exil Fethullah Gülen, dont le mouvement Hizmet contrôle un vaste réseau international d'écoles et d'entreprises. Ses sympathisants se compteraient pas millions en Turquie, jusque dans les arcanes du pouvoir judiciaire et de la police.

"Il ne peut pas y avoir d'Etat dans l'Etat", a déclaré lors d'une interview en direct à la télévision turque Abdullah Gül.

Le président turc, dont les fonctions présidentielles sont largement protocolaires, n'a pas été impliqué dans le scandale.

"Chacun peut travailler pour les institutions de l'Etat, que ce soit l'armée, la justice ou d'autres acteurs étatiques, mais doit pour cela se conformer à la loi, à la Constitution et aux règles de cette institution", a-t-il poursuivi, avant de prévenir clairement: "Recevoir des ordres d'ailleurs n'est pas acceptable (...) Si tel est le cas au sein de la justice, parmi les juges, cela ne peut être toléré."

Mais il a également souligné que la justice devait être indépendante du pouvoir exécutif.

Alors que le scandale pèse sur la confiance des investisseurs, que la livre turque perd du terrain et que la croissance économique patine, Abdullah Gül a souligné que la stabilité économique était la première des priorités.

"Si l'économie se dégrade, c'est comme si nous nous tirions une balle dans le pied, si la confiance se dégrade, cela serait un dommage sans égal pour notre pays." (avec Daren Butler et Tulay Karadeniz; Henri-Pierre André pour le service français)