* Un délit jugé non défini

* Toutes les poursuites en cours sont annulées

* Il faudra une nouvelle loi (actualisé avec communiqué de l'Elysée, §6)

PARIS, 4 mai (Reuters) - Le Conseil constitutionnel a abrogé vendredi la loi qui réprimait depuis 2002 le harcèlement sexuel en France, en raison du fait que le délit n'était pas suffisamment défini, ce qui entraîne sa disparition au moins provisoire.

L'instance a estimé que cette loi était contraire à la Constitution car elle violait le principe de légalité des délits et des peines.

Des syndicats et partis, dont le Parti de gauche, le PCF et Europe Ecologie-Les Verts, se sont inquiétés du vide juridique ainsi créé, souhaitant qu'une nouvelle loi soit votée en urgence au cours de l'été.

Une dizaine d'associations féministes ont également publié un communiqué commun pour "exiger une nouvelle loi".

"C'est une mauvaise nouvelle pour toutes les femmes", a déclaré pour sa part la sénatrice UMP Chantal Jouanno, affirmant que les parlementaires s'empareraient de ce dossier "dès la rentrée parlementaire".

Dans un communiqué diffusé vendredi soir, l'Elysée a indiqué que le président de la République s'engageait "si les Français lui renouvellent leur confiance, à soumettre au parlement, dans les meilleurs délais, un projet de loi qui précisera les éléments constitutifs de l'infraction de façon à satisfaire aux exigences du Conseil constitutionnel".

"L'article 222-33 du code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis. Par suite, ces dispositions méconnaissaient le principe de légalité des délits et des peines", dit le Conseil constitutionnel dans un communiqué.

L'abrogation prend effet immédiatement et a pour conséquence d'annuler toutes les poursuites dans les dossiers qui ne sont pas encore jugés définitivement, précise-t-il.

Aucune poursuite nouvelle ne sera donc plus possible avant l'adoption éventuelle d'une nouvelle législation, qui ne sera pas possible avant des mois, voire des années, compte tenu du fait qu'une nouvelle Assemblée nationale doit être élue en juin.

Quel que soit le vainqueur de l'élection présidentielle dimanche, la nouvelle majorité qui sortira des urnes en juin devrait être saisie en priorité d'autres textes annoncés durant la campagne.

Roselyne Bachelot, ministre en charge des droits des femmes, invite dans un communiqué "la nouvelle Assemblée nationale qui sortira des urnes au mois de juin prochain à se saisir en urgence de ce dossier afin de garantir les droits des salariés et, plus particulièrement, ceux des femmes".

Un collectif d'associations féministes a protesté contre la décision. "Jusqu'au vote, le cas échéant, d'une nouvelle loi, les victimes sont abandonnées par la justice. Le message d'impunité ainsi adressé aux harceleurs est révoltant", écrivent-elles.

LES CONDAMNATIONS PRONONCÉES RESTENT VALABLES

Le délit de harcèlement sexuel avait été introduit dans le code pénal français en 1992 et défini alors par "le fait de harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions".

Une autre loi du 17 juillet 1998 avait ajouté les "pressions graves" à la liste des actes caractérisant le harcèlement mais la loi du 17 janvier 2002, prise sous le gouvernement de gauche de Lionel Jospin, est venue modifier cette construction juridique.

Il s'agissait alors d'élargir le champ d'application de la loi en supprimant toutes les précisions concernant les actes par lesquels le harcèlement était constitué, et de même concernant la circonstance relative à l'abus d'autorité.

Le Conseil constitutionnel sanctionne donc la nouvelle définition ainsi libellée et jugée illégale car trop vague : "le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende".

Ce texte était de toute façon relativement peu appliqué, en raison justement de la difficulté de caractériser les faits.

Cette abrogation résulte de la nouvelle procédure dite de "question prioritaire de constitutionnalité" (QPC), introduite dans une récente réforme et qui permet à tout justiciable de contester la conformité avec la Constitution d'une loi qui lui est appliquée.

La première QPC examinée émanait d'un maire adjoint de Villefranche-sur-Saône (Rhône) condamné le 15 mars 2011 par la cour d'appel de Lyon à trois mois de prison avec sursis, 5.000 euros d'amende et à une interdiction d'exercer toute fonction ou emploi public pendant trois ans pour avoir harcelé trois de ses collaboratrices.

Il reste cependant condamné malgré l'abrogation de la loi, puisqu'elle ne prend effet qu'à compter de ce vendredi.

L'autre QPC émanait de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) qui estimait que la loi était trop imprécise et demandait une abrogation différée afin qu'il n'y ait pas de vide juridique, une demande qui n'est donc pas satisfaite. (Thierry Lévêque, Emile Picy et Eric Faye)