par Simon Cameron-Moore et Tulay Karadeniz

ISTANBUL, 26 novembre (Reuters) - Côté turc, la frontière serpente sur 800 km vers l'est dans un décor de collines en grande partie miné. De l'autre côté d'une vallée, le drapeau syrien flotte sur des bâtisses de béton et des soldats surveillent les mouvements du haut des toits.

Les villages des alentours sont occupés par l'armée.

La frontière séparant la province turque de Hatay du territoire syrien est le cadre le plus probable des "corridors humanitaires" qu'a proposés cette semaine la France pour protéger les civils pris en étau dans les violences en Syrie, où le président Bachar al Assad lutte pour sa survie politique. Mais l'armée syrienne ne se montre pas prête aux concessions.

La proposition française de zones ou de corridors humanitaires, formulée mercredi par le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, est en gestation. Les responsables turcs, dont le gouvernement pourrait être l'acteur principal sur ce terrain, ne sont pas encore certains de ce qu'elle implique.

"Nous avons évoqué beaucoup de possibilités avec les Français, ce qui se passera si la situation devient incontrôlable et se détériore. Il y a bien sûr des plans de réserve, mais nous n'en sommes pas encore là", confie à Reuters un représentant du gouvernement turc.

"La question est de savoir (ce qui est prévu) si la violence échappe à tout contrôle, s'il y a un coup de force, une guerre civile incontrôlable. Il y a beaucoup de possibilités et d'éléments propres à modifier un scénario", ajoute-t-il.

Le projet pourrait se concrétiser par un corridor donnant accès au territoire syrien à partir des frontières de la Turquie ou du Liban, voire à un aéroport où pourraient se poser un avion ou à une zone côtière où pourrait mouiller un navire.

ACCORD NÉCESSAIRE DE DAMAS

Des organisations humanitaires comme le Croissant-Rouge international livreraient aide et matériel médical aux centres de peuplement en difficulté. Des observateurs non armés pourraient les accompagner pour veiller à ce que les autorités syriennes n'interviennent pas dans le processus.

L'accord de la Syrie serait nécessaire pour qu'un tel projet ait quelque chance de succès. La Ligue arabe et plusieurs puissances étrangères tentent de persuader Damas de l'accepter.

"Ils n'ont pas dit non jusqu'ici, alors nous parviendrons peut-être à les convaincre", déclare un diplomate occidental. "Tant qu'on reste dans un registre humanitaire, il est difficile pour des pays comme la Syrie de refuser une aide aux civils."

Sans accord de Damas, des corridors humanitaires ne pourraient fonctionner qu'avec l'appoint d'un recours éventuel à la force et, si possible, une caution des Nations unies.

"Je crois qu'il serait très dangereux et difficile de tenter de créer un corridor humanitaire à l'intérieur de la Syrie (...) Je ne pense pas que la Syrie accepterait cela", dit Nikolaos van Dam, ex-diplomate néerlandais et historien de la Syrie moderne.

Le vice-Premier ministre turc Bulent Arinc a fait comprendre jeudi qu'Ankara ne se laisserait pas entraîner dans une opération militaire en Syrie. "L'idée que la Turquie intervienne en Syrie est une erreur totale. En tant que pays, nous n'envoyons pas de soldats en Syrie et nous n'intervenons pas", a-t-il dit à des chaînes de télévision turques.

VILLES CONCENTRÉES DANS L'OUEST

L'armée syrienne a renforcé ses positions frontalières au début du soulèvement qui a éclaté en mars. Amicale jusque-là envers sa voisine, la Turquie a bientôt dénoncé les méthodes répressives de Bachar Assad en voyant le bilan des victimes s'alourdir et les civils syriens affluer.

Des réfugiés et des déserteurs venus trouver refuge dans la province turque méridionale de Hatay signalent des chars en embuscade dans des vallées boisées proches de la frontière.

La frontière turco-syrienne, longue de 800 km environ, est minée sur plus de 500 km du côté turc et dans une bande dont la largeur atteint jusqu'à 300 mètres.

Les véhicules peuvent la franchir en toute sécurité via une douzaine de points de passage officiels, mais la plupart des villes syriennes se trouvent dans l'Ouest, aussi une opération humanitaire est appelée à se concentrer sur la province de Hatay où se trouvent les cinq camps de réfugiés regroupés jusqu'ici.

Il est improbable qu'un corridor emprunte le passage qui donne sur le sud en direction de Lattaquié, ville côtière où vit une forte minorité alaouite, la communauté du clan Assad.

Pour atteindre les régions où les Syriens de la majorité sunnite sont les plus nombreux, l'itinéraire d'un corridor humanitaire passerait presque certainement par Alep, grande ville à majorité sunnite et kurde. Il pourrait ensuite s'étendre au sud par l'autoroute M5 via une série de villes - Hama, Rastan, Homs - sur lesquelles s'est abattue la répression. Ces agglomérations sont toutefois plus proches du Liban. (avec Jonathon et Ibon Villelabeitia à Ankara, John Irish à Paris; Philippe Bas-Rabérin pour le service français, édité par Jean-Philippe Lefief)