par Elizabeth Piper

MOSCOU, 17 mars (Reuters) - Ayant obtenu le rattachement de la Crimée à sa fédération, la Russie présente la république autonome de la mer Noire comme un lieu de villégiature capable de concurrencer l'Egypte, une source complémentaire de revenus tirés du pétrole et gaz et un réservoir de main d'oeuvre. La réalité est un peu différente.

Seule région d'Ukraine à majorité russophone, cédée à Kiev par Nikita Khrouchtchev en 1954 et devenue autonome en 1991 à l'effondrement de l'URSS, la péninsule a voté dimanche son retour dans le giron russe.

Les quelque deux millions d'habitants de la région se sont prononcés à une écrasante majorité pour un rattachement à Moscou dans une consultation référendaire que les Occidentaux et l'Ukraine considèrent comme illégitime et n'ont pas reconnu.

"Ceux qui en tirent le plus de bénéfices sont les hommes de la rue, les habitants de Crimée qui aujourd'hui sont totalement différents des gens que je voyais il y a deux semaines, avec leurs visages illuminés", a commenté le député russe Leonid Sloutski dans la capitale criméenne, Simféropol.

"Les gens sont heureux. Ils sont protégés. Ils reviennent dans le pays dans lequel ils voulaient être depuis au moins deux générations et parce qu'enfin la vérité historique et la justice historique ont fini par triompher", a-t-il ajouté sur la radio Ekho Moskvi.

Le parlement de Crimée a voté lundi la nationalisation de la principale société énergétique de la région, Tchornomornaftohaz, ce qui devrait faciliter les ambitions russes sur l'exploitation de gisements d'hydrocarbures en mer Noire.

Malgré les liens affectifs et historiques entre Simféropol et Moscou, la Crimée ne peut guère être considérée comme un eldorado pour le pouvoir russe.

La république autonome compte des hôtels vétustes peu attractifs pour les touristes, ses services publics sont de mauvaise qualité et une grande partie de son économie est souterraine.

Malgré ses fronts de mer bordés de palmiers et ses collines rocailleuses, la Crimée est d'abord un territoire sous perfusion : elle dépend de l'Ukraine à 85% pour son approvisionnement en électricité et à 90% pour son ravitaillement en eau et en denrées alimentaires.

Karen Vartapetov, analyste chez Standard & Poor, estime que Moscou va devoir débourser 38 milliards de roubles (un milliard de dollars) par an pour porter le revenu moyen par habitant de la Crimée au niveau de celui des régions russes les plus défavorisées, l'Ossétie du Nord et la Kabardino-Balkarie dans le Nord-Caucase.

ENDETTEMENT

Cela signifie augmenter le niveau des retraites pour 560.000 personnes d'une moyenne de 150 dollars par mois au minimum pratiqué en Russie de 180 dollars par mois.

Le revenu moyen en Crimée est de 270 dollars mensuels contre 660 dollars dans la région de Krasnodar, juste de l'autre côté de la frontière.

Des responsables russes ont dit être prêts à débloquer 30 à 40 milliards de roubles d'aide financière pour permettre à la Crimée de passer sous la tutelle de Moscou.

Le processus devrait, selon les termes du vice-ministre russe des Finances Sergueï Chalatov, avoir "un impact très grave".

"Il y aura des modifications dans la législation fiscale, dans la formation des services douaniers, dans le service du fisc, dans l'enregistrement des sociétés et des individus ainsi que dans l'inventaire et la réglementation pour s'adapter au système fiscal russe", a-t-il ajouté devant la presse.

"Je pense que cela va prendre du temps, peut-être y aura-t-il une période de transition. Je n'exclus pas un régime fiscal dérogatoire".

Cette transition intervient au moment où l'économie russe donne des signes d'affaiblissement à un rythme accéléré. La croissance russe en 2014 pourrait s'établir en dessous de 1%, estime un économiste de la Banque de Finlande.

"Les problèmes s'aggravent dans les régions russes et entre 10 et 15 d'entre elles ont un besoin urgent d'aide financière pour mettre en oeuvre les objectifs fixés par Poutine", a commenté Karen Vartapetov, précisant qu'une dizaine de régions accusent une dette équivalente à 100% de leurs revenus.

"L'accès aux marchés de la dette est extrêmement difficile pour elles et elles ne peuvent compter que sur l'aide du budget fédéral", a-t-il conclu.

(Pierre Sérisier pour le service français)