En annonçant jeudi que la BCE était prête à acheter de la dette émise par les Etats en difficulté (d'une durée maximum de trois ans) pour des montants en théorie illimités, Mario Draghi est allé au-delà des attentes des marchés. Les coûts d'emprunt de l'Italie et de l'Espagne ont aussitôt reculé et continuaient à baisser vendredi. Mais encore faut-il maintenant que les pays visés demandent un sauvetage et qu'ils acceptent de respecter des conditions qui promettent d'être strictes.

D'autant que le souhait de Mario Draghi d'obtenir l'implication du Fonds monétaire international pour la mise au point et le respect des conditions attachées au programme de sauvetage risque de rendre la tâche encore plus difficile pour l'Espagne.

Mariano Rajoy, le président du gouvernement espagnol, ferait tout pour éviter d'avoir à subir les humiliantes visites trimestrielles des inspecteurs du FMI, de l'Union européenne et de la BCE qui ont été imposées à la Grèce, à l'Irlande et au Portugal en échange des fonds débloqués dans le cadre des plans de sauvetage.

Compte tenu de la réticence du gouvernement Rajoy, le spécialiste des taux d'intérêt à la Rabobank Richard Mcguire se demande si les marchés ne vont pas devoir faire pression sur l'Espagne pour qu'elle se résolve à solliciter un sauvetage.

POSITION AMBIGUË

Après des discussions avec la chancelière Angela Merkel et alors que se réunissait la BCE, Mario Rajoy a bien montré jeudi qu'il n'était pas pressé de demander un programme. Il a affirmé devant les journalistes incrédules que les conditions assortissant la demande d'assistance n'avaient pas été discutées.

Vendredi, la vice-présidente du gouvernement espagnol, Soraya Saenz de Santamaria, a annoncé que Madrid allait examiner les conditions du programme de rachat d'obligations avant de prendre une décision concernant une demande d'aide.

De sources proches des discussions en cours au sein de la zone euro, la France et la Commission européenne ont demandé au chef du gouvernement espagnol de fournir un programme suffisamment tôt pour que le Conseil européen des 18 et 19 octobre puisse approuver un sauvetage.

De la sorte, les rachats d'obligations par la BCE (les opérations monétaires en prise ferme) pourraient être activés avant le mois prochain, au moment où les problèmes de refinancement de l'Espagne deviendront aigus.

L'Allemagne de son côté se trouve dans une position ambiguë. D'une part, Angela Merkel doit attendre la décision de la Cour constitutionnelle, mercredi prochain, sur la constitutionnalité du fonds de secours permanent de la zone euro, le Mécanisme européen de stabilité (MES).

Mais la chancelière aimerait aussi éviter d'avoir à demander au Bundestag d'approuver un nouveau plan de sauvetage pour un quatrième pays de la zone euro.

D'autant que la presse allemande de vendredi n'est pas tendre : elle accuse le président de la BCE d'avoir signé "un chèque en blanc" aux membres de la zone euro en difficulté.

Le ministre des Finances Wolfgang Schäuble s'est attaché à calmer les esprits en soulignant que le BCE avait agi dans le cadre de son mandat.

Quant à l'Italie, autre pays fragilisé par la crise de la dette, elle espère que le soutien de la zone euro et de la BCE à l'Espagne calmera les marchés et lui évitera d'avoir à demander une aide pour elle-même.

EMBARRASSÉE

Aux côtés d'Angela Merkel, Mariano Rajoy a clairement dit jeudi qu'il ne réduirait pas le montant des retraites, alors que selon un certain nombre d'économistes, ce point devrait être une condition de sauvetage compte tenu du poids très lourd que le service des pensions fait peser sur les finances publiques espagnoles.

Mariano Rajoy avait déjà suscité la colère des "orthodoxes" allemands le week-end dernier en disant que l'Espagne satisfaisait déjà à toutes les demandes européennes en matière de réformes économiques et budgétaires et qu'elle ne devait pas être soumise à des exigences supplémentaires.

Selon les observateurs politiques, Mariano Rajoy veut éviter d'annoncer des mesures d'austérité impopulaires avant les élections régionales au Pays basque et en Galice, sa région d'origine, prévues le 21 octobre.

Le président de la Bundesbank Jens Weidmann, seule voix discordante au sein du conseil des gouverneurs de la BCE jeudi, a souligné que ces nouveaux achats de la BCE risquaient d'inciter les gouvernements de la zone euro à reporter des réformes nécessaires.

L'an dernier, la BCE avait été très embarrassée quand le chef du gouvernement italien de l'époque, Silvio Berlusconi, avait semblé oublier ses promesses de réforme quelque temps après le démarrage d'achats d'obligations de l'Etat italien par la BCE.

Mario Draghi a certes clairement dit que la BCE pourrait cesser ses achats d'obligations en cas de non-respect des conditions par tel ou tel pays, mais les analystes se demandent si la BCE aura vraiment les moyens de couper les vivres à un Etat qui n'atteindrait pas ses objectifs, au risque d'acculer celui-ci à la faillite et toute la zone euro au chaos.

Avec Julien Toyer à Madrid, Eva Kuehnen à Francfort et Gareth Jones à Berlin, Danielle Rouquié pour le service français, édité par Dominique Rodriguez

par Paul Taylor et Paul Day