Cour de justice de l'Union européenne

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 38/18

Luxembourg, le 10 avril 2018

Conclusions de l'avocat général dans l'affaire C-89/17

Presse et Information

Secretary of State for the Home Department/Rozanne Banger

Selon l'avocat général Bobek, lorsqu'un citoyen de l'Union retourne dans son État membre d'origine, ce dernier est tenu de favoriser l'entrée et le séjour du partenaire non UE avec lequel ce citoyen a développé ou renforcé des liens familiaux dans un autre État membre

L'obligation de favoriser l'entrée et le séjour des partenaires des citoyens de l'Union ne confère pas de droit de séjour automatique, mais impose à l'État membre d'entreprendre un examen approfondi de la situation personnelle du ressortissant concerné et de motiver tout refus d'entrée ou de séjour

Mme Rozanne Banger, une ressortissante d'Afrique du Sud, est la partenaire de M. Rado, un ressortissant britannique. Ils ont résidé ensemble en Afrique du Sud de 2008 à 2010, avant de s'installer aux Pays-Bas. Les autorités néerlandaises ont accordé à Mme Banger une carte de séjour en sa qualité de membre de la famille élargie d'un citoyen de l'Union, conformément à la directive de l'Union sur la libre circulation 1.

Cette directive impose aux États membres de favoriser l'entrée et le séjour du partenaire avec lequel un citoyen de l'Union a une relation durable, lorsque ce dernier s'est rendu dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité. Lorsqu'ils sont saisis d'une demande émanant d'une telle personne, les États membres sont tenus d'entreprendre un examen approfondi de sa situation personnelle et de motiver tout refus d'entrée ou de séjour.

En 2013, Mme Banger et M. Rado se sont installés au Royaume-Uni et Mme Banger a demandé une carte de séjour. Le Secretary of State for the Home Department (ministre de l'Intérieur) a rejeté cette demande sur la base de la législation britannique qui a transposé la directive. Cette législation détermine les droits des membres de la famille des ressortissants britanniques qui retournent au Royaume-Uni après avoir exercé leur droit de libre circulation. Pour être considéré comme membre de la famille d'un citoyen britannique, le demandeur doit être le conjoint ou le partenaire enregistré du ressortissant britannique. Comme Mme Banger n'était pas mariée avec

M. Rado au moment de l'introduction de sa demande, les autorités britanniques l'ont rejetée.

Mme Banger a contesté la décision du Secretary of State. L'Upper Tribunal (Immigration and

Asylum Chamber) (tribunal supérieur, chambre de l'immigration et de l'asile, Royaume-Uni) a décidé de poser à la Cour de justice des questions préjudicielles sur l'interprétation de la directive et sur les conséquences de l'arrêt Singh 2. Aux termes de cet arrêt, lorsque des citoyens de l'Union retournent dans leur État membre d'origine après avoir exercé un droit de séjour dans un autre

État membre, les membres de leur famille doivent au moins jouir des mêmes droits que ceux qui leur seraient consentis par le droit de l'Union dans un autre État membre. Cette affaire portait toutefois sur l'épouse d'un citoyen de l'Union, tandis que la présente affaire concerne un couple non marié.

1 Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77).

2 Arrêt du 7 juillet 1992 de la Cour, Singh,C-370/90.

L'Upper Tribunal demande dès lors à la Cour si les principes énoncés dans l'arrêt Singh s'appliquent également aux situations dans lesquelles le ressortissant d'un pays non UE n'est pas marié au citoyen de l'Union qui retourne dans son État membre d'origine. Il demande également si une décision de rejet, qui n'est pas fondée sur un examen approfondi de la situation personnelle du demandeur et qui n'est pas motivée de manière adéquate ou suffisante, enfreint le droit de l'Union.

Dans ses conclusions de ce jour, l'avocat général Michal Bobek rappelle tout d'abord que la Cour a, à diverses reprises, confirmé que, sur la base des traités, les règles du droit de l'Union relatives à la libre circulation peuvent également être appliquées par analogie à des situations concernant des citoyens de l'Union qui retournent dans l'État membre dont ils ont la nationalité après avoir exercé leur droit de libre circulation. La logique qui sous-tend cette jurisprudence est qu'une personne pourrait être dissuadée de quitter son pays d'origine pour exercer une activité économique dans un autre État membre si elle ne pouvait pas bénéficier, à son retour, de facilités d'entrée et de séjour au moins équivalentes à celles dont elle peut disposer sur le territoire d'un autre État membre. Cette logique s'applique aussi pleinement aux « membres de la famille élargie », y compris les partenaires non mariés des citoyens de l'Union.

Selon l'avocat général, la Cour devrait toutefois mettre l'accent sur le fait que, plutôt que d'être découragée ex ante, une personne ne devrait pas être pénalisée ex post pour avoir exercé ses droits de libre circulation. Il estime qu'un tel désavantage apparaît dans des situations où, même si les citoyens de retour dans leur État membre d'origine sont soumis au même régime réglementaire que leurs compatriotes n'ayant jamais exercé leur droit de libre circulation, les règles nationales ne reconnaissent pas les liens familiaux qui se sont développés ou renforcés dans un autre État membre. Des situations objectivement différentes ne peuvent et ne devraient pas être traitées de la même manière.

Par conséquent, l'avocat général propose à la Cour de conclure qu'un ressortissant d'un pays non UE avec lequel un citoyen de l'Union ayant exercé son droit de libre circulation a une relation durable ne doit pas, lors du retour de ce citoyen dans son État membre d'origine, faire l'objet d'un traitement moins favorable que celui que la directive prévoit pour les membres de la famille élargie de citoyens de l'Union qui exercent leur liberté de circulation dans d'autres États membres.

L'avocat général fait ensuite observer que la disposition de la directive qui impose aux États membres de favoriser l'entrée et le séjour des ressortissants de pays non UE avec lesquels des citoyens de l'Union ont une relation durable ne confère pas de droit de séjour automatique.

Dès lors, la conclusion de l'avocat général selon laquelle cette disposition devrait s'appliquer par analogie aux citoyens de l'Union qui retournent dans leur État membre d'origine ne doit pas conduire à reconnaître à leur partenaire ressortissant d'un pays non UE un droit de séjour automatique dans leur État membre d'origine. Cette disposition devrait plutôt s'appliquer aux citoyens revenant dans leur État membre d'origine de la même manière qu'elle s'applique aux citoyens vivant dans un autre État membre.

L'avocat général reconnaît que la directive laisse aux États membres une marge d'appréciation quant au choix des conditions particulières et des facteurs à prendre en considération dans le cadre de la demande d'entrée et/ou de séjour d'un partenaire ressortissant d'un pays non UE. Il indique toutefois que ce pouvoir d'appréciation est limité par i) l'obligation de veiller à ce que les « membres de la famille élargie » se trouvent dans une meilleure situation que la catégorie générale des ressortissants de pays non UE et ii)

l'obligation faite aux États membres d'entreprendre un examen approfondi de la situation personnelle du demandeur et de motiver tout refus d'entrée ou de séjour.

De plus, selon l'avocat général, le fait qu'un autre État membre ait délivré une carte de séjour n'entraîne pas nécessairement l'octroi d'un droit de séjour dans l'État membre d'origine du citoyen de l'Union (ou dans tout autre État membre). L'obligation de favoriser l'entrée et le séjour des partenaires des citoyens de l'Union n'équivaut pas à une obligation d'accorder cette entrée ou ce séjour ; en outre, le fait que les États membres peuvent déterminer leurs propres critères signifiequ'il n'y a pas d'« obligation de reconnaissance mutuelle » ni d'obligation d'accorder un traitement au moins identique ou meilleur que dans l'État membre d'accueil précédent.

Dans la présente affaire, l'avocat général estime que la Cour devrait conclure que, conformément à une interprétation conjointe des règles de libre circulation figurant dans les traités et la directive, Mme Banger a droit à ce que sa demande fasse l'objet d'un examen approfondi et à ce que tout refus d'entrée ou de séjour soit motivé sur la base du résultat de cet examen. Cet examen doit porter, en particulier, sur sa situation personnelle, y compris sa relation avec le citoyen de l'Union concerné.

RAPPEL : Les conclusions de l'avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L'arrêt sera rendu à une date ultérieure.

RAPPEL : Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité d'un acte de l'Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème similaire.

Document non officiel à l'usage des médias, qui n'engage pas la Cour de justice.

Letexte intégral des conclusions est publié sur le site CURIA le jour de la lecture.

Contact presse : Gilles Despeux (+352) 4303 3205.

La Sté CURIA - European Court of Justice a publié ce contenu, le 10 avril 2018, et est seule responsable des informations qui y sont renfermées.
Les contenus ont été diffusés par Public non remaniés et non révisés, le10 avril 2018 08:15:06 UTC.

Document originalhttps://curia.europa.eu/jcms/jcms/p1_953189/fr/

Public permalinkhttp://www.publicnow.com/view/A80AC3C706852435673448C657D634E1B102B217